Un livre

Eléonore

de Colette Lambrichs

Editions Différence

Colette Lambrichs connaît fort bien Bruxelles pour y avoir passé une bonne partie de sa jeunesse. C’est là, dans cette ville qu’on croirait parfois transposée d’un tableau de Magritte, qu’elle situe son dernier roman. Galerie de portraits, d’ailleurs, serait mieux dire. Car défilent ici, dans un savant chassé-croisé, pas moins d’une dizaine de personnages qui tous, ou presque, ont en commun Éléonore. Au soir de sa vie, cette comédienne veut faire une belle sortie, « réussir son dernier rôle » comme un pied de nez à la maladie. À sa dernière représentation elle convoquera, « dans l’appartement de l’avenue Molière », comme de juste, sa famille et des proches. Mais en attendant cet acte ultime, avant que ne tombe le rideau, les masques des uns et des autres tombent. Pointant « alibis, positions convenues et paravents (qui) empêchent de vivre », Colette Lambrichs sonde les tourments et les ambiguïtés de chacun : Pierre et Yves les fils contrariés, Rita la sensuelle belle-fille, Fernanda la gouvernante aux petits secrets et tant d’autres. De ces êtres empêtrés ou empêchés, elle donne le point de vue dans une construction polyphonique. À chacune de ces variations, les existences se révèlent en proie à des contradictions, à des doutes, à des hontes. Cette observation fait constamment osciller du dépit au désir, de la frustration à la jubilation. Ce n’est pas un déballage ou un étalage, mais bien plutôt un échantillonnage de ce qui empoisonne les vies, de ces silences qui emmurent, des non-dits qu’on triture. Ce méli-mélo pourrait virer au mélo, n’étaient les retournements de situation qu’orchestre Lambrichs, en bonne régisseuse qu’elle est. Dans ces moments-là, on pense à l’atmosphère tragi-comique de certains films de Claude Chabrol, maître, lui aussi, pour montrer les coulisses du petit théâtre bourgeois.

Anthony Dufraisse

Éléonore
de Colette Lambrichs
La Différence, 173 pages, 15 €