La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Bleus adorables

février 2014 | Le Matricule des Anges n°150 | par Xavier Person

L’ornithologie est un art poétique pour Fabienne Raphoz qui poursuit dans Terre sentinelle une œuvre sensible aux couleurs du monde.

Dans Terre sentinelle, Fabienne Raphoz propose une suite de poèmes bleus, écrits à partir du bleu et pour le bleu, dont le bleu est le sujet. Comment dire ? Littéralement, un décentrement s’opère, par lequel c’est la couleur même qui semble en devenir le sujet, comme s’il s’agissait dans chacun de ces poèmes, non pas simplement de voir le bleu ou même, mieux, de voir bleu, mais bien plutôt de voir à partir du bleu incarné à chaque fois par un animal, oiseau, insecte, poisson, méduse, etc. : Rollier indien, « Morpho bleu », Caloptéryx vierge, Étoile de mer bleue, Dendrobate à tapirer, Vélelle, etc. On ne peut pas ne pas se souvenir, lisant ces poèmes, du renversement que propose Emmanuel Hocquard, lorsqu’il suggère de produire une « tache blanche  » dans la grammaire universelle-continue en reprenant les choses à partir du point de vue de la libellule, sur le temps, sur la grammaire, dans cette perspective divergente qui s’ouvrirait à partir de ce regard autre. Prenant le point de vue de la couleur, à partir de ce déplacement, chacun de ces courts poèmes pulvérise son assise même. Citons le poème consacré au Caloptéryx vierge, « libellule à ailes opaques bleues métalliques » : « Bleu fait mâle / demoiselle oiseau / qu’encœure l’or / des filles / au fil furtif / à force / d’éternité  »
L’adjectif « bleu » colorise la syntaxe et la propulse, dans une légèreté, une ouverture, une aération de tout substantif pourrait-on dire. C’est dans l’air que cela s’écrit, que la note bleue est tenue. Dans l’air ? Les mots sont suspendus sur la page, comme en plein vol, dans une sorte de fulgurance immobile, flèche lexicale, cf. le surgissement du verbe « encœurir ».
C’est un peu comme si la poésie de Fabienne Raphoz cherchait quelque chose du côté du ravissement, mais à partir d’une inquiétude. Non seulement la terre est menacée et avec elle la diversité du vivant, mais aussi, devinée en filigrane, c’est le deuil de sa propre mère qu’il s’agit pour l’auteur d’affronter : « ailes haut d’ici secours / à maman dos / dodo d’oiseau / retour ». Courage de la poésie, cœur mis ici à revenir au mot à mot du poème, à la lettre d’une littéralité parfois presque enfantine (« mort / mot rouge  »), à comme un chant perdu dans la langue et retrouvé comme une consola-tion : le verbe « encœurir » est promesse d’or, de couleurs plus chatoyantes et vives, il court-circuite le poème et c’est un revirement soudain, un point de bascule, étincelle de sens.
« L’évolution des formes s’étend à toute la couleur  », dit le titre, d’une autre partie du livre. La couleur du vivant prend forme dans le poème, lui donne sa forme, comme si le poème pouvait se générer sous l’effet de la couleur même, à partir de son évolution et de celle du vivant sous toutes ses formes, dans un devenir et un décentrement où se dissout la plainte, et sa douleur.
« Ai-je jamais rencontré vert vraiment ?  » demande un poème vers la fin du livre. Un paradis s’envisage ou se rêve encore, même si le mot « enfer » revient parfois dans ce livre et pour cause. Le paysage de l’enfance, en l’occurrence ici la vallée de l’Arve en Haute-Savoie, ne fait pas tant l’objet d’une nostalgie que d’une exploration ou d’une interrogation, dans une « dynamique littérale  ». Énumérations de noms de lieux ou d’animaux, etc., la page est paysage, éboulis de mots, comme s’il ne s’agissait pas tant d’écrire un poème que de retrouver quelque chose, peut-être, comme une syntaxe plus ouverte et plus libre, plus accueillante : « dire le nom des choses / et quelque chose / se dénoue / qui n’est pas encore le poème / et ce / pendant / un peu / plus / déjà soudain / le chant du loriot »
Pourquoi, pourra-t-on se demander, la poésie encore aujourd’hui ? Pourquoi des poèmes encore à propos des oiseaux, des rivières et des libellules ? Un poème cite Guillevic : « et puis la joie de savoir la menace et de durer ».
Que peut-on faire ? Une cabane à l’instant du désastre ? Le poème est précaire. Sans pour autant référer à l’étymologie de « précaire », ou bien alors au sens panthéiste de la prière, entendons par là, ici, une tentative de se confronter à la catastrophe sans s’y limiter, avec au contraire, dans l’écriture du poème et ce qui à partir de lui se laisse appréhender, dans ce déplacement qui s’y opère, à partir par exemple du simple chant d’un merle, une tentative d’être là, pour l’entendre ce chant, tout reconsidérer à partir de là. Le poème est précaire et la terre menacée comme jamais, mais si seulement nous avions le courage des oiseaux ou d’une libellule, semblent dire ces poèmes, si seulement nous pouvions tout reprendre à partir de ce qui s’ouvre là, s’y retourne, dans la catastrophe même.


Xavier Person

Terre sentinelle
Fabienne Raphoz
Éditions Héros-Limite, 182 pages, 18

Bleus adorables Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°150 , février 2014.
LMDA papier n°150
6,50 
LMDA PDF n°150
4,00