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Histoire littéraire Croquis explosifs

mai 2020 | Le Matricule des Anges n°212-213 | par Guillaume Contré

Une sélection des récits et reportages plus ou moins fictifs d’Octave Mirbeau est l’opportunité de redécouvrir la finesse de son regard et de son humour qui frappe juste.

Vache tachetée et concombre fugitif

Si, de son œuvre, l’on ne retient aujourd’hui qu’une poignée de romans (Le Journal d’une femme de chambre, Le Jardin des supplices…), Octave Mirbeau n’en fut pas moins un écrivain prolifique et tout-terrain sachant passer sans encombre du conte à la nouvelle, de la critique littéraire au pamphlet. Une habileté de plume qui n’a rien de surprenante, puisqu’il écrivait abondamment dans les journaux à une époque où, comme le rappelle Stéphane Babey, le préfacier de cette anthologie de récits humoristiques, c’était «  la presse qui dictait le rythme de la vie intellectuelle française ».
C’est certainement ce contexte de publication, celui de textes qui s’écrivaient vite et se publiaient dans la foulée, qui donne à la vingtaine d’écrits rassemblés ici leur rythme enlevé ainsi qu’une certaine fraîcheur, comme si le temps passé n’avait pas eu d’effet sur eux. Il faut dire que les comportements humains et les réalités sociales que Mirbeau observe – pour mieux, naturellement, les tourner en bourrique voire les attaquer frontalement – sont toujours largement les nôtres. L’humour, ici, ne cherche pas le seul éclat de rire, il sait se faire cruel ou d’une noirceur opaque, comme dans la longue nouvelle qui clôt le volume, « Un homme sensible ». Mirbeau contemple le monde à bonne distance, une distance moqueuse, mais armé d’une loupe qui appuie là où ça fait mal, prêt à chercher et à débusquer la petite bête chez « l’insaisissable et toujours présent homme des foules ». Il y a quelque chose du moralisateur chez lui, mais sans la morgue. Un moralisateur paradoxalement amoral qui convainc par la fine ironie de ses tableaux plutôt que par des arguments massues.
Les formes prises dans Vache tachetée et concombre fugitif sont très variées, de la fable au reportage en passant par le dialogue théâtral. Quand l’auteur s’interroge sur un village quelconque de la Basse-Seine et sur les incompréhensibles raisons qui font que celui-ci déchaîne « la passion des excursionnistes et villégiaturistes départementaux », ce n’est pas tant le détail pittoresque qui l’intéresse que de constater qu’« il n’y a pas de meilleure objection à la théorie des causes finales que le déconcertant spectacle d’un départ, ou d’une arrivée de touristes, en quelque endroit que ce soit ». Ailleurs, quand il esquisse des « Croquis Bretons », l’intention bucolique peut aller se rhabiller et laisser place à un portrait grinçant (pour ne pas dire glaçant). Ainsi raconte-t-il un monde où un certain « gentilhomme » évoque sans tabous sa nostalgie d’un ordre ancien dans lequel sa noblesse n’était pas déchue, se réjouissant de sa haine de la démocratie, évoquant dans un frisson de plaisir le droit de vie ou de mort qu’il s’arrogeait sur le menu fretin. Le déconcertant naturel, le ton presque badin avec lequel Mirbeau évoque tout cela ne fait qu’ajouter à la charge.
Une des saynètes théâtrales est l’occasion d’assister, dans « un salon très élégant », à une lecture de Byronnet, « illustre psychologue » pour dames, grand connaisseur en thématiques délicates telles que « la relation mondaine d’une table et d’une marquise ». Il y est encore question d’un comte qui « appartenait à cette forte et superbe race d’hommes de club qui ne peuvent supporter, chez celles qu’ils aiment, l’inauthenticité d’une cuiller » ; un comte qui possède par ailleurs « une admirable bibliothèque » de chaussures et diverses cravates « d’une pensée si supérieure ».
La bêtise et la prétention sont des puits sans fond et notre écrivain ne se prive pas d’y jeter son seau. Le directeur du journal Le Mouvement en fait également les frais, lui que ne cesse de demander à ses collaborateurs « quelque chose de très chaud, de très emballé, de très parisien ». À quoi bon parler des « derniers livres de Victor Hugo » si l’on peut écrire un article « sur les bottines à talon plat ». Puis voici qu’il s’interroge : « L’article sur l’avenir de la Russie ? Heu ! heu !… Est-ce bien parisien ? »
Ailleurs encore, Mirbeau préfigure l’angoisse kafkaïenne face à l’arbitraire de la loi en s’intéressant au triste destin d’un pauvre type « condamné à cinquante ans de bagne pour ce crime irréparable et monstrueux de posséder une vache tachetée qu’il ne possédait pas ». Il se laisse aussi aller aux plaisirs de l’absurde en inventant un concombre non pas masqué mais « fugitif » lorsqu’il rend visite au « père Hortus », qui joue du cornet à pistons pour agacer les hibiscus et n’aime « que les plantes qui font des blagues ». On passe ainsi sans se lasser de la vache au concombre et du coq à l’âne, qu’il s’agisse d’attendre « l’omnibus de Batignolles-Montparnasse » ou de contempler un « Paysage d’été », au gré de ce que Guitry appelait les « éclats magnifiques » de Mirbeau.

Guillaume Contré

Vache tachetée et concombre fugitif, d’Octave Mirbeau,
L’Arbre vengeur, 240 pages, 14

Croquis explosifs Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°212-213 , mai 2020.
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