Ils sont quatre : le père, la mère, le fils, la fille. Le fils raconte : « Ma mère met la table. Ma sœur, perchée sur le couvercle de la poubelle, touille le repas pour éviter qu’il ne brûle. Mon père finit de tailler les plantes du jardin. » Le fils, lui, s’intéresse aux fourmis. Elles sont là, présentes, du début à la fin, comme la permanence d’un monde vivant qui voit passer les hommes, mais ne s’en préoccupe guère. Et puis on sonne à la porte. Pour ne pas répondre et éviter ainsi des ennuis imaginés, vendeurs de toutes sortes, voisins à dépanner, enfants farceurs, ou Témoins de Jéhovah, toute la famille se réfugie à la cave. Elle en condamne l’accès avec un mur de pain préparé avec cent kilos de farine et de l’eau et se prépare à vivre là, pour toujours peut-être. « Ils nous disent que cela pourrait être un jeu. » Jouer à la famille heureuse. À la manière des enfants, et chacun dans son rôle, ils vont tenter de reconstruire le monde dans lequel ils vivaient.
Et là, comme sous le microscope d’un entomologiste, nous regardons vivre cette microsociété, avec ses moments de joie, ses accès d’angoisse, ses violences, ses injustices et ses sentences qui se veulent philosophiques : « Un poisson volant est le parfait exemple de l’échec. » Où chacun exprime ses attentes et ses objectifs dans la vie : « Ils viennent me chercher », dit la fille qui espère quitter cette famille. « Un homme doit apprendre à veiller sur sa famille », dit le père. Et bien sûr lui revient la garde du fusil. La mère raconte des histoires, le fils se prépare à prendre la succession, le père surveille et gronde, et ainsi va la vie. Puis la fille partira, les parents vieilliront puis disparaîtront, oubliant petit à petit tout ce qui a fait leur vie. Et le fils succédera au père, comme il se doit : « Je prends le fusil. » Entre poésie et surréalisme, l’auteur nous embarque dans une aventure où le grotesque le dispute à l’émotion, dans une langue touchante, la langue d’un enfant racontant le monde des adultes.
PGB
Traduit de l’espagnol par Victoria Mariani, Les Solitaires intempestifs,
62 pages, 12 €
Théâtre Une famille heureuse de Javier Hernando Herráez
juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
Une famille heureuse de Javier Hernando Herráez
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°214
, juin 2020.