Cadrés comme des fenêtres « sans rien autour », les poèmes en prose d’Étienne Faure dans Et puis prendre l’air, son septième recueil. En dix sections et près de deux cents poèmes, son livre est une invite à le suivre dans ses escapades citadines et rustiques, car il s’agit de prendre l’air « des villes et des champs ». De ce qu’il voit, entend, observe ou ressent, il rend compte en témoin qui est d’abord un poète, c’est-à-dire un homme qui ne saurait se satisfaire du monde tel qu’il est, qui a besoin de l’enrichir de sens ou de l’augmenter d’une vision. Voici, par exemple, comment il voit les châtaignes. « Trois par trois les châtaignes dans les bogues ont des allures de Grâces qui s’apprêtent à sortir en entrouvrant la porte. Souvent l’une d’elles est plus forte, attirant le regard par sa rotondité. Les consœurs se défendent aussi, même si la courbe la plus convexe confère souvent l’avantage, soi-disant, au regard du désir… » Le geste poétique est tout entier dans cette façon de nous ouvrir les yeux, d’élargir le champ du possible, de nous dire sans le dire qu’une chose peut être autre chose que ce qu’elle a l’air d’être.
Chaque poème est ainsi un petit objet esthétique autonome, une fête éphémère du langage. Qu’il fasse un « éloge appuyé des bancs » publics, évoque « l’ennui léger à la fenêtre enduré dès l’enfance », se souvienne des hôtels où il a séjourné ou s’intéresse à la lune – « Quand la lune n’est pas pleine mais presque, elle a l’air poire ou prune, légèrement cabossée… » –, c’est d’abord le plaisir qu’il prend à écrire que communique Étienne Faure. En toute modestie, comme le dit la fin du texte sur la lune : « Ce n’est qu’un texte qui donne à voir présentement ce qu’il peut, du haut des mots que chacun utilise, selon sa palette et ses yeux. »
Le poème donne à voir tout en sauvant les petits événements qui font la vie quand on fuit le « renfermé », qu’on aime se déplacer. C’est ainsi qu’on retrouve notre poète au bout du monde – « Vivre en tongs fut longtemps son rêve, une espèce de cliché figé dans une photo d’agence… » – ou au milieu d’un cocktail, là où « même les lustres entre eux échangent des idées brillantes » et où l’on déambule parmi parfums, œillades et tics de langage. « Tic de langage est à cette heure de la soirée le tic le mieux partagé, ce retour régulier d’un mot, d’une impression, tu vois, le mécanisme pendulaire à l’intérieur de soi qui ponctue la phrase, la scande et la relance à nouveau, tu vois, laisse un instant le temps mort des idées se reprendre, respirer puis repartir de plus belle, tu vois… »
Ces petites sculptures verbales réconcilient la poésie avec la vie, l’humour et l’évidence sensible de ce qui est, qu’il s’agisse du « harnachement des motardes en juin », du « cri du coq » ou des « changements de saison ». Une écriture qui exige, somme toute, un certain doigté, tout comme la cueillette des mûres. « Le doigté que requiert la cueillette a tout du geste du rhéteur pour expliquer, dans un bouquet de doigts, de quoi il est question : une idée essentielle rassemblée en grappe. Dextérité des mots. » De la réalité à sa ressaisie par l’écriture, c’est une poétique de la cristallisation que développe Étienne Faure. Autour de moments de vie éprouvée et de consonances comme, par exemple, dans le poème où il met en parallèle la chair « comestible » des viandes faisandées et les souvenirs qui, eux aussi réclament « un temps de faisandage, une période acceptable de maturation,/ presque de digestion/ ainsi qu’une syntaxe/ interrompue, lardée/ pour mieux laisser les mots/ suinter, rendre/ l’inexprimable ».
Richard Blin
Et puis prendre l’air
Étienne Faure
Gallimard, 136 pages, 14,50 €
Poésie Appels d’air
mars 2021 | Le Matricule des Anges n°221
| par
Richard Blin
Dans de malicieux poèmes en prose, Étienne Faure va – à pied, en train, en avion – à la rencontre du monde qui s’ouvre à lui. Vivifiant et habité.
Un livre
Appels d’air
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°221
, mars 2021.