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Poésie La frangine de Villon

mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231 | par Éric Dussert

Prostituée et écrivaine, Grisélidis Réal a laissé des poèmes tragiques et documentaires sur son sort de femme publique, amoureuse et mélancolique.

On ne présente plus Grisélidis Réal dont la tombe du cimetière des Rois de Genève porte cette mention fameuse « Écrivain – Peintre – Prostituée » qu’elle avait elle-même choisie. Pour être complet, il aurait fallu ajouter militante et poète, mais est-on jamais complet ? Dans son cas, il aurait fallu préciser encore qu’elle souffrit de la prison, des coups de ses compagnons successifs, de l’absence de ses enfants, ce qu’un nouveau volume de ses écrits poétiques vient illustrer. Depuis la publication de son carnet de clients par la revue Le Fou parle de Jacques Vallet, sur l’instigation de Jean-Luc Hennig dans les années 1970 puis la reprise de ses proses publiées dans la revue Écrits et de ses inédits aux éditions Verticales à l’initiative de Bernard Wallet et d’Yves Pagès, il n’était plus attendu que sa poésie, assez peu volumineuse, plus documentaire que révolutionnaire, mais parfaitement significative quant à son parcours, dont le « Nocturne » dit toute l’ambivalence : « Rues/ Pavées de mes larmes/ Murs/ Revêtus de mes cris/ Trottoirs gluants/ Comme des reptiles/ Nuits de douleur/ Nuits de pluie/ Où mes pas ont glissé/ Vers de profonds abîmes/ Nuits de printemps/ Où les feuilles se sont levées/ Et nous ont caressées/ De leurs murmures/ Sur la promesse d’un été//II. Eté dur/ Assassiné/ Au coin d’un mur/ Dans l’angle d’une porte/ Aux marches d’un escalier/ Porté par noix brisées/ Eté/ Printemps/ Hiver/ Prostitués// III. Une rose rouge/ Sanglante comme une bouche/ S’est posée sur mes cheveux/ Mon corps est pris au filet/ De mains de pierre/ Notre cri est muet/ Sous les becs des rapaces/ Nous sommes effeuillées/ Jusqu’à l’âme// IV. Sexes dressés sur la neige/ Des lavabos/ Vipères/ Gonflées de venin/ Prêts à mordre/ Amour/ Je n’ai pas assez de mots/ Pour dire combien/ Je te hais/ Sous toutes tes formes/ Combien tes caresses/ M’écorchent/ Dans cet enfer vertical/ Horizontal/ Et animal  ».
Rendue à la poésie chaque fois que de la prison ou de la maladie les contraintes exigeaient son immobilité, la militante des droits des travailleuses du sexe disait alors son abattement de chien étendu, rendait les armes, jusqu’à décrire ses larmes (« Lacrymosa »), sa « Saudade », sa « Melancholia », sa maladie et jusqu’à ses « Obsèques », étape suivant son « Éloge funèbre » et la « Mort d’une putain » (2005). Plus étonnant encore, ses cantiques, des hauts murs, de la liberté, de la délivrance, de l’emprisonnement, des gardiennes de prison et ce « Cantique des mains prisonnières » (1963) rédigé durant son incarcération pour deal de haschich à Munich qui fera à coup sûr parti des anthologies à venir. « Les mains parlent/ les mains crient/ Dans le silence des pierres/ Les mains frappent/ Les mains prient/ Un dieu sourd depuis des siècles/ Celui qui vous justifie/ celui qui vous abandonne/ Mains ouvertes/ Tendues vers celui qui donne/ La liberté tatouée/ Aux bêtes mises en troupeau ». Révoltée parmi les révoltées, Grisélidis Réal dit en quelques centaines de vers ses douleurs, sa solitude et son désespoir, l’amour, le désir, les hommes et les passes – et l’amour d’Hassine ou de l’amant noir, ou même de l’amant perdu, celui qu’on cherche infiniment et qui jamais n’apparaît. Ainsi du « Requiem pour un Amour » : « Pour notre dernière nuit d’amour/ Je veux un couvre-lit/ Rempi d’étoiles crevées/ Et des chants mortuaires/ D’un poste de radio borgne/ Je veux une lampe funéraire/ A l’abat-jour troué/ Que d’horribles rideaux/ Aux fleurs déteintes/ Masquent à tout jamais le jour/ Que nous soyons enfin mon Amour/ Morts à nous-mêmes et au monde/ Dans une pauvre étreinte payée/ De notre vie.  »
C’est dans ses archives dédiées à la lutte pour les prostituées que subsistaient tous ces vers. Étonnamment, les tout premiers avaient été recueillis par sa propre mère, elle s’y assombrissait, à peine adolescente, du sort fait aux femmes de Suisse. Les derniers disent la mort qui approche et parfois, son opposition au discours féministe qu’elle jugeait infantilisant pour les prostituées et toujours, toujours, sa longue, grande, mythologique lutte avec l’ange. « Chantez oiseaux de nuit/ Aux voix de velours noir/ Chantez la mort voilée/ Son regard électrique/ Sa démarche brisée/ Chantez le désespoir/ Au gosier hystérique/ La lente floraison/ Des chairs décomposées/ Chantez l’eau du miroir/ Le souffle s’est enfui/ En la troublant à peine/ Chantez l’immaculée/ Peau de marbre inhumaine/ Figée d’éternité/ Sous l’or des encensoirs/ Jetez votre oraison/ Aux gorges du silence ». C’était son dernier poème, « Obsèques », resté inachevé en 2005.

Éric Dussert

Chair vive. Poésies complètes
Grisélidis Réal
Préface de Nancy Huston
Seghers, 256 pages, 17

La frangine de Villon Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°231 , mars 2022.
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