Recueil d’une quinzaine de poèmes, Bandes passantes a des allures de séquence du jeune-vieux téléspectateur, référence surannée, assumée. Alix Tassememouille, docte hétéronyme, indique en postface que les courts-métrages ont tous été tournés à Berck à l’exception de Stella-plage. Un indice tracé rue du Sable précise que s’ils ont été filmés en 1969, ils n’ont été réagencés, recadrés que plus de huit mille jours plus tard. Ce sont là souvenirs blindjés, ramassés sur les laisses de mer de la mémoire quand on est alé-z épaves. Au début, on ne perçoit que les ondulations du sable sur l’estran quand la mer s’est retirée, qu’accompagnent les fantômes de deux amis de vingt ans. Il y a là quelque chose d’Un homme et une femme de Lelouch suivi d’une solorisation nucléaire comme dans La Jetée, le roman-photo de Chris Marker. Puis retentit une sirène de pompiers, en surgit « JOHNNY WINTER l’albinos fou – Il me tire les nerfs un hiver durant ». Avec (Souvenir de l’été 1969) retentissent les chabadabada de Pierre Barouh. « J’ai trop peur j’ai trop mal je suis trop bien. » Sur Esplanade, la perception devient pointilliste, l’été prend des airs d’holocauste. À Stella-plage s’installent les images du Mépris de Godard et l’on aime à aimer des genoux et un nombril. Cadrage offre un chromo, un polaroid – « la mer, semblable à une langue de vache en verre blanc… » – tandis qu’un homme assez empâté nous tourne le dos. Christèle convoque Pauline à la plage d’Éric Rohmer : « Tu vois, tu ne vois pas/Tu te moques des gens/Des Chtis et des Poètes – Plus personne ne rit/Quand passe ton corps cru. » Trois poèmes, À Sylvia Plath, À la vague et Mouette offrent l’incommensurable et amer sourire sur fond d’élégie de l’autrice de Berck-Plage. « Ô Sylvia morte ! pose sur mes pieds tes pieds frais ! » Les poèmes suivants célèbrent Berck, éclairant d’un clair-obscur façon Mort à Venise des souvenirs charnels, revivifiant Les Quatre Cents Coups de Truffaut et le cinéma le Familia… Adoptant diverses formes, du vers libre aux rimes anticipées, Bandes passantes compose une maison de muses vaporeuse, mosaïque fervente de nostalgie où les cœurs, les corps, les âmes se cherchent, se touchent à travers le temps, ses soleils gris, son sable qui fuit. L’ouvrage a été réalisé à la main sur de vieilles presses récupérées par les éditions Voix de garage et son mentor Vincent Guillier, ouvrier typographe, colporteur, écrivain qui peste contre la disparition future… du papier.
D.A.
Bandes passantes,
Ivar Ch’Vavar
Voix de garage, 25 pages, 10 €
(20, rue du Havre 60460 Précy-sur-Oise)
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Ivar Ch'Vavar
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mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Dominique Aussenac
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