Des livres

Merveilleuse planète

de Gueorgui Demidov

Editions des Syrtes

Merveilleuse planète

de Gueorgui Demidov

Editions des Syrtes

Nous connaissions les révélations de Soljenitsyne et de Varlam Chalamov. Il faut désormais compter celles de Gueorgui Demidov (1909-1988). Cet ingénieur, à plusieurs reprises envoyé dans les camps, ne vit jamais publiés ses manuscrits. Parmi tous ses livres posthumes, voici Merveilleuse planète, dont le titre est une antiphrase puisqu’il s’agit de la Kolyma, soit la zone sibérienne la plus meurtrière au sein des archipels du goulag.
Ce sont, au milieu d’une nature sauvage et inhospitalière – qui recèle des « gisements aurifères » – cinq récits, à la fois petits romans d’aventure, philosophiques, voire amoureux. Leurs personnages sont hauts en couleur : chefs de camp, fonctionnaires zélés, bourreaux ordinaires voisinent avec les détenus, à l’occasion de conflits récurrents. En cette microsociété, où l’État règne en monstre, même si les individus ne sont plus que les ombres de ce qu’ils étaient avant leur déportation, ils n’en conservent pas moins leur vilenie ou leur humanité. Ils tentent de s’évader au moyen de l’ingéniosité et de l’imagination. Y compris en de tels lieux, des « cercles artistiques amateurs » parviennent à changer « les classiques de la littérature » en parodie des poètes soviétiques. En fait, « l’écrivain zek  » se moque de la culture officielle.
Malgré l’ironie et les tentatives d’affirmer la vie malgré tout, le tableau est effarant. Entre « truands » et politiques, entre veules et « frimeurs », les conditions de détention des « contre-révolutionnaires », réduits à la « ration disciplinaire », ne sont que purgatoire et enfer. Un tel recueil est à la fois une judicieuse contribution à l’histoire du totalitarisme communiste et un réel sursaut de qualité littéraire.

Thierry Guinhut

Traduit du russe par Luba Jurgenson et Nicolas Werth, Les Syrtes, 272 p., 22 €