Après Le Destin d’Anjali (2023), qui nous emmenait dans une zone rurale de l’Andhra Pradesh à l’aube des années 1920, où la coutume qui consiste à brûler vives les jeunes veuves suite au décès de leurs époux était encore en vigueur, Hema Macherla nous revient avec un roman tout aussi féministe et historique. Lettres sur le sable suit le destin d’une jeune fille qui, comme Anjali, rêve d’indépendance et de liberté. Nous sommes en 1970, au sein d’une famille de brahmanes conservateurs dont le quotidien est régi par la tradition. « Naître fille au sein de notre communauté est une malédiction », s’entend dire Kiri de la part de sa propre mère. En effet, les femmes de ces familles n’ont pas accès à l’éducation. Elles sont cantonnées à l’espace domestique où elles servent d’esclaves aux personnages masculins de la maisonnée – père, grand-père, frère, mari, oncle, fils. À cela se superposent des mariages forcés alors qu’elles sont encore enfants, doublés d’un système de dot qui endette les parents des filles. Ces dernières sont vues comme un fardeau et les violences physiques, sexuelles et psychologiques qu’elles subissent sont normalisées. « Nous n’étions pas en sécurité. Aucune d’entre nous ne l’était », réalise Kiri très tôt.
Kiri prend aussi peu à peu conscience des profondes inégalités qui scindent son village en se liant d’amitié avec Mira, une jeune femme de caste inférieure. Elle lui ouvre les yeux sur le monde qui l’entoure, tout comme son frère Rajiv, un temps engagé auprès des communautés intouchables locales avant de disparaître soudainement : comme tant d’autres étudiant·es, il a rejoint le mouvement naxalite. Composé de plusieurs groupes révolutionnaires d’inspiration maoïste, celui-ci vise à réformer le code agraire afin de protéger les paysans et de mettre un terme à la toute-puissance des riches propriétaires terriens. Si Kiri est d’abord choquée par les méthodes des troupes naxalites qu’elle juge radicales, elle se documente ensuite sur les injustices qui structurent la société et développe son esprit critique.
Hema Macherla nous raconte donc, pas à pas, l’émancipation d’une jeune femme dans un contexte répressif qui n’a rien d’anachronique, bien malheureusement. Avec simplicité, elle dit ses rêves, ses frustrations, sa résistance et son courage. C’est inspirant, comme toujours lorsque l’issue est globalement positive, mais aussi triste, de constater à quel point ce vieux proverbe indien – « La femme est semblable à une feuille et l’homme à une épine. Que la feuille tombe sur l’épine ou que l’épine tombe sur la feuille, le résultat sera toujours le même. Seule la feuille en pâtira » – entre toujours en résonance avec notre présent.
Camille Cloarec
Lettres sur le sable, de Hema Macherla
Traduit de l’anglais par Jiliane Cardey, Mercure de France, 368 pages, 24 €
Domaine étranger Sœurs de lutte
avril 2025 | Le Matricule des Anges n°262
| par
Camille Cloarec
En mêlant histoire intime et mouvements collectifs, le nouveau roman de Hema Macherla s’attaque aux fondements patriarcaux et classistes de la société indienne.
Un livre
Sœurs de lutte
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°262
, avril 2025.

