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Domaine français Des jeunes gens modernes

mai 2025 | Le Matricule des Anges n°263 | par Guillaume Contré

Avec son écriture élégante, François Souvay propose un réjouissant marivaudage dans une université des années 1980.

Livre délicieusement inactuel, Lettres modernes est une sorte de bildungsroman épistolaire qui raconte la formation intellectuelle, sensible et discrètement sentimentale d’une poignée d’étudiants dans les salles de cours et les allées d’une université de province du milieu des années 1980. La neutralité programmatique du titre n’est pas seulement une manière économe d’annoncer le type d’études que suivent nos jeunes héros, mais également de jouer avec la notion toujours paradoxale de modernité. Car les personnages de ce roman, portés par un enthousiasme aussi juvénile que rigoureux, se passionnent pour la littérature décadente de la fin du XIXe siècle et lisent avec le plus grand sérieux des œuvres aussi improbables que Penses-tu réussir ! de Jean de Tinan ou Lesbia Brandon de l’Anglais A. C. Swinburne, autant d’ouvrages qui n’étaient sans doute pas plus à la mode en 1985 qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Poussés par leurs professeurs – une galerie de figures fantasques, tel M. Wilson, qui « s’affiche plus british et déconcertant que jamais » et aime bousculer les certitudes de ses ouailles quitte à se les mettre à dos, ou Mme Beaumont, qui pourrait bien finir par séduire un de ses élèves et dont la « jolie Fiat 500 jaune d’œuf » est une manière de se distinguer « des voitures récentes et interchangeables de ses collègues » –, ils dissertent d’une lettre à l’autre, en profondeur, dans un heureux mélange de naïveté et d’acuité, sur ces romans raffinés que d’aucuns, ceux qui se laissent trop vite berner par la discutable notion de chef-d’œuvre, qualifieraient de mineurs. Mais nos étudiants sont des lecteurs subtils qui semblent avoir instinctivement compris que c’est parfois justement dans les œuvres dites « mineures » que l’on trouve la matière de son plaisir. Bref, ils sont un peu snobs, ce qui pourrait être un vilain défaut s’ils ne désamorçaient pas d’emblée cette accusation par leur magnifique candeur et leur belle énergie. Même lorsqu’ils se mettent à latiniser on ne saurait leur reprocher ce bref accès de pédanterie, puisque le latin, après tout, « n’est pas très difficile à comprendre (avec ce bon vieux M. Gaffiot) ».
Ce groupe de jeunes gens bien sous tous rapports qui écoutent les groupes branchés de l’époque et affirment chacun d’aimables contrastes – l’un, se piquant de politique, reproche à l’autre, issu d’une famille catholique, de vivre dans sa « tour d’ivoire » – est très actif. Leur « Club de Lettres » est souvent « le théâtre d’âpres discussions ». Eux qui se passionnent également pour le cinéma, ne tarderont pas à ouvrir un ciné-club, l’occasion d’y projeter aussi bien des classiques que des vieux films de genre aux titres évocateurs comme Danger : planète inconnue, dont les maquettes « bricolées » de vaisseaux spatiaux les ravissent.
Ils s’essaient au roman policier ou à la science-fiction, l’occasion pour l’auteur de nous faire lire, entre deux missives, des extraits de leurs productions littéraires, lesquelles ne sont pas tout à fait les pastiches attendus (le livre mettant en abîme cette notion à travers un subtil jeu de réécriture du texte de l’un par l’autre) et se lancent évidemment dans la réalisation d’un film, une histoire de momie qui sème le trouble parmi la gent masculine : qui donc, dans leur petit groupe, est l’actrice magnétique qui se cache derrière les bandelettes ?
Tandis que deux jeunes dandys, sorte d’influenceurs avant la lettre, se disputent le leadership intellectuel au sein du groupe, un autre, Felix, épistolier prolifique que nous suivons de près, s’amourache d’une jeune femme chimérique dont il ne connaît qu’une photo floue et se consacre à la bande dessinée, dans un style ligne claire bien dans le ton de l’époque, celle où des Yves Chaland et Serge Clerc (mentionné, ce n’est pas un hasard, au détour d’une page) revisitaient dans un mélange de dévouement et de liberté provocante le style d’Hergé. Or, c’est justement la manière de l’auteur, François Souvay, puisqu’il est également dessinateur et en a profité pour inclure dans le livre quelques-unes des planches du jeune Félix.
Car il y a, indubitablement, quelque chose de la ligne claire dans le style limpide, presque suranné, de Souvay. Les jeunes, même en 1985, même lettrés, écrivaient-ils comme le font les héros de ce livre dans les lettres et messages qu’ils s’envoient les uns les autres ? C’est peu probable, de même qu’il est peu probable qu’ils eussent entretenu une correspondance aussi assidue, mais ce non-réalisme assumé est certainement un des grands mérites de ce marivaudage de haute volée. Après un premier livre remarquable il y a trois ans, Ciné-club (qui se fichait déjà royalement de l’air du temps), François Souvay confirme son talent avec ce beau récit plein de légèreté qui nous dépeint une université idéalisée.

Guillaume Contré

Lettres modernes, de François Souvay
Champ Vallon, 224 pages, 20

Des jeunes gens modernes Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°263 , mai 2025.
LMDA papier n°263
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LMDA PDF n°263
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