La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Mascarade au bunker

septembre 2025 | Le Matricule des Anges n°266 | par Thierry Guinhut

L’affreux Adolf Hitler est un charlot, sous la plume aiguisée et parodique de l’écrivain espagnol Gerard Guix.

Des milliers de volumes ont été écrits sur le nazisme et son horreur totalitaire. Ouvrages d’historiens fort sérieux le plus souvent, de philosophes politiques parfois, à la tête desquels Hannah Arendt, plus rarement par des romanciers. Que l’angle en soit le fantastique et la parodie est plus rare encore. C’est ce qu’a choisi avec une vaste ambition le Barcelonais Gerard Guix (né en 1975), qui écrit dans la langue de Cervantès et dont c’est ici le cinquième roman.
Pour expliciter le titre, insolite pour un romancier espagnol, le Doppelgänger est un personnage récurrent des folklores et des mythologies germanique et nordique, souvent mis en scène dans des récits fantastiques et horrifiques, tels ceux des frères Grimm, de Jean Paul Richter, d’E.T.A. Hoffmann, mais aussi chez Allan Edgar Poe. Il est le sosie, ou plutôt le double fantasmatique et menaçant d’une personne vivante, dont il est susceptible de dévorer l’enveloppe corporelle et l’âme. Mais quel est donc le rapport avec le nazisme ?
Dès l’entrée, nous voici pris à la gorge parmi les derniers combats d’avril 1945. Ruines, « flocons de cendre », doses de cyanure à l’intention du Führer en son bunker, tout est mis en scène pour qu’un parfait crépuscule des dieux wagnérien tombe sur Berlin. L’effet historique, théâtral et documentaire est renforcé par la liste d’une centaine de dignitaires nazis, soit le « dramatis personae ». Alors que tout est perdu, sans rémission, la cour qui entoure Adolf tente de le rassurer en fêtant son anniversaire. Goebbels, dont on connaît le talent pour le mensonge et la propagande, a trouvé le cadeau idéal : l’horoscope du Maître ! L’on confie la chose à quelque gitane et voyante experte. Dans la précipitation, une erreur de date de naissance, seulement quelques jours, paraît vénielle. Mais pendant son sommeil, alors qu’il est face au Dictateur, s’affublant d’un nez rouge de clown, le monstre est soudain possédé par un esprit malin…
Ne voilà-t-il pas qu’il fomente, au lieu de projets guerriers, de tourner un film. Entre les rejetons de Goebbels et Eva Braun, l’on s’évertue à réaliser le dernier caprice, avant de devoir le tuer face à la proximité russe. Autour de lui, maints subordonnés succombent à des phobies, soit des cafards, comme en une kafkaïenne allusion, soit de la saleté, toutes métaphores de la culpabilité. Au réalisme historique initial succède un surréalisme débridé, surtout lorsque l’on comprend que l’esprit du Führer a été remplacé par un « être incorporel », soit celui de Charlie Chaplin, pourtant sur « la liste noire du Reich depuis de nombreuses années ». Quelques comploteurs fomentent de se mettre en quête du cinéaste et acteur pour récupérer l’essence du dictateur et ainsi oser espérer la restauration du Reich millénaire. L’affaire rebondit jusque dans les années 1970, autour de la tombe de Chaplin à Lausanne, où l’on croise le docteur Mengele et David Bowie. Et par une ultime pirouette, nous apprenons que le chaplinesque esprit se serait emparé du corps du romancier Gerard Guix !
Il est bientôt clair que sous l’apparence loufoque se cache une dimension morale. Comment expliquer que tant de jeunes Allemands puissent succomber au fanatisme aveugle ? Comment se prémunir contre la réincarnation du dépote criminel qui infuse souterrainement nos sociétés ? Car « les problèmes de remontées d’égout sont fréquents dans cette ville ». Car « l’âme d’Adolf Hitler le regardait toujours depuis le plafond, accrochée telle une chauve-souris, le défiant de sa langue de reptile ». En cet opus survolté, la dimension tragique de l’Histoire fait place au ridicule. Parodique, satirique en diable, le monstre romanesque fait mouche.

Thierry Guinhut

Doppelgänger, de Gerard Guix
Traduit du castillan par Carole Fillière, Aux forges de Vulcain, 768 pages, 29

Mascarade au bunker Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°266 , septembre 2025.
LMDA papier n°266
7,30  / 8,30  (hors France)
LMDA PDF n°266
4,50