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Domaine étranger Fractures anglaises

septembre 2025 | Le Matricule des Anges n°266 | par Camille Cloarec

Avec Caledonian Road, haletante fresque sociale sur le crépuscule d’un monde corrompu, Andrew O’Hagan interroge la responsabilité individuelle, l’influence de la filiation et les artifices intellectuels.

Campbell Flynn a tout pour être heureux. À 52 ans, il est un historien renommé dont la dernière publication, une biographie de Vermeer, a remporté un grand succès. Le couple qu’il forme avec son épouse, une psychothérapeute cousine de la famille royale, est enviable par bien des aspects. Aussi complices qu’au premier jour, tous deux mènent un train de vie luxueux, entre soirées mondaines, sollicitations médiatiques, retraites d’écriture et voyages ressourçants. Ils possèdent une maison dans un quartier cossu de Londres ainsi qu’un cottage à la campagne. Leurs deux enfants, des jeunes adultes, sont classiquement des sources d’inquiétude et de fierté. Angus est un DJ réputé et égocentré, quant à Kenzie, c’est une ancienne mannequin queer en couple avec un·e créateur·rice de mode non-binaire. Pourtant, en dépit de son ascension sociale fulgurante – il vient d’une famille populaire de Glasgow – et de ses solides acquis, Campbell continue d’être angoissé par le manque d’argent.
Il faut dire que nous sommes en 2021, que le vent commence à tourner et que l’universitaire est mal entouré. Son meilleur ami, Sir William Byre, un magnat du prêt-à-porter auprès duquel il a secrètement contracté un prêt, s’apprête à être jeté en pâture aux médias en raison de ses liens douteux avec des oligarques russes et des violences conjugales qu’il commet. Son beau-frère, le duc de Kendal, est lui aussi inquiété au sujet de mécénats douteux avec la mafia russe. « Il était quasiment impossible de côtoyer Tony sans avoir envie de changer le monde. Il émettait des opinions effrayantes, qui sortaient d’une bouche remplie de dents abîmées. Voir son visage et les faces cramoisies de ses amis, ainsi que le teint rubicond de ses ancêtres dépravés qui vous regardaient depuis leurs portraits, vous donnait envie de tout brûler et de rentrer chez vous. » Ces profils peu scrupuleux, avides de pouvoir et reposant sur l’exploitation, deviennent soudain infréquentables. Ils symbolisent à eux seuls un système corrompu et injuste, fondé sur les privilèges et l’opportunisme.
Afin de se distinguer de cette caste sur le déclin, Campbell a écrit un article qualifié de progressiste dans l’Atlantic, ce qui a pour effet de le désolidariser de bon nombre de ses collègues et pairs. Il a aussi rédigé clandestinement un ouvrage sur la crise de l’identité masculine au XXIe siècle, Pourquoi les hommes pleurent dans leur voiture, dont l’auteur officiel est un acteur à la mode. Ce projet qu’il espérait lucratif se révèle être un fiasco absolu qui le fait basculer du côté du doute et de la remise en question. « Tous ces hommes qui s’effondraient. Campbell n’avait pas vraiment l’impression d’être un des leurs, pas encore, mais écrire ce petit livre de développement personnel l’avait perturbé. Tout à coup, son passé lui paraissait accessible. » Mais ce sont sa fascination pour l’un de ses étudiants, Milo, et l’influence que ce dernier va exercer sur lui au cours de l’année qui vont le faire basculer.
Caledonian Road déploie, sur 650 pages, une galerie de personnages pour la plupart riches, cupides et malhonnêtes, qui hantent les quartiers dorés de Londres. Certains d’entre eux sont des criminels et des assassins, d’autres baignent simplement dans leurs privilèges sans se préoccuper de la manière dont leur fortune est bâtie. Pour eux, la ville n’est rien de plus qu’un terrain de jeux et de débauche. Cette vaste fresque, construite par Andrew O’Hagan sur une décennie, questionne avec profondeur l’arrivisme décomplexé, les paradoxes de la filiation et les conflits entre générations. En dépit de toutes ses tentatives d’affranchissement, Campbell comprend qu’il ne s’est jamais détaché de ses origines populaires : « Le château de cartes qui se trouve en nous devient branlant quand on s’aperçoit, un jour, que nous respirons comme nos parents et que, comme eux, nous tentons désespérément de maintenir la stabilité du monde. »
Malgré leur velléité d’émancipation, rares sont les personnages qui œuvrent avec authenticité pour un renversement des valeurs et un monde meilleur. Si l’ordre des choses s’apprête à changer, il demeurera en leur faveur. Fidèle aux grands romanciers du XIXe siècle, O’Hagan nous immerge dans une année palpitante, saturée de péripéties savoureuses qui conduisent à la chute impitoyable.

Camille Cloarec

Caledonian Road, d’Andrew O’Hagan
Traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller, Métailié, 656 pages, 24,50

Fractures anglaises Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°266 , septembre 2025.
LMDA papier n°266
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LMDA PDF n°266
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