Lire Max Rouquette, c’est soulever la peau d’un monde, plus encore de son cosmos que l’on pourrait qualifier de Vert Paradis, titre générique de son œuvre en prose, exception faite des romans. C’est aussi pénétrer une langue aussi tonique, acerbe que sensitive, sensuelle, lyrique, incantatoire, voire chamanique comme la définissait le poète Roland Pécout (1949-2023). Langue qu’a forgée l’auteur, à partir du languedocien d’Argelliers où il naquit en 1908, amphithéâtre adossé aux contreforts du Larzac, dominant la plaine jusqu’à la mer. Là, il convoqua la Grèce, traduisit Lorca, Dante, Omar Khayyam, s’y déclara poète, poète premier, poète avant tout, même au cœur de son théâtre et de ses romans. Médecin de formation, il fut hanté par la vie, le grouillement animal et végétal de la vie, le secret des herbes, l’alternance des jours et des nuits, l’impression cosmique de faire partie d’un grand tout. Ainsi que par la mort, sa cruauté, sa latence, sa laitance, ses mystères, ses animaux fantastiques. Il loua le rêve, sa puissance, ses constellations. Sa poésie en est encore tout humide de rosée. Les titres de ses recueils en palpitent toujours : Les Psaumes de la nuit (Obsidiane, 1984), Le Tourment de la licorne (Domens, 1992), A mille années-lumière (Jorn, 1995), ses Bestiari (Atlantica, 2000 ; Federop, 2005) et enfin Poèmes en prose (Federop, 2008).
À sa mort, à 97 ans, le 22 juin 2005 à Montpellier, des tas de poèmes, de projets inédits, soigneusement rangés, parfois inachevés furent retrouvés. Son fils Jean-Guilhem, avec l’aide de poètes compagnons de route (Jean-Frédéric Brun, l’équipe des éditions Jorn), les traduisirent. Les Abeilles du silence en comprend 130. Les onze premiers sont issus d’un mystérieux Cahier Noir, écrits entre 1940 et 1950. Ils installent l’œuvre future. « Le temps est une transparence/où les oiseaux s’évanouissent/entre les rayons bleus de l’absence… » Les textes du recueil éponyme évoquent les heures, la musique, Paris, la splendeur et toujours l’ombre – celle d’un dieu ancien, sol y sombra, ombre à « l’immobile lumière de dieu » les survole. Les deux tiers ont été écrits dans les années 1980. L’ensemble, forcément disparate, n’a pas la puissance et le magnétisme des recueils précédemment cités, certains textes s’avèrent discutables, d’autres recèlent de magnifiques pépites permettant de reconsidérer la progression d’une écriture habitée. « Rendez-moi les lauriers et les ormes/ Rendez-moi l’ombre morte du matin/ Rendez-moi l’eau humble qui riait/ dans l’ombre criblée de soleil. Rendez-moi le silence de la terre/ et l’haleine invisible du printemps/ et la rose secrète en ses épines/ qui se cachait dans le buisson d’avril… »
Les éditions Bruno Doucey ont pris le pari, louable, vu la frilosité hexagonale envers la littérature occitane contemporaine, de publier deux recueils bilingues d’Aurélia Lassaque, Pour que chantent les salamandres et Un autre monde que le mien. C’est elle qui s’est chargée de composer une anthologie chronologique. Elle y déclare que « Max Rouquette défend la langue occitane par l’illustration humble de son génie poétique. La langue dans laquelle il s’exprime est au service de la poésie universelle. » Plus aérés, peut-être plus aériens, plus courts, reconnus par leur auteur puisque déjà publiés, ces poèmes permettent une entrée aisée, fervente dans l’œuvre de Max Rouquette. Paroles pour l’herbe, Les herbes d’eau, Le crapaud, Le grillon, La pitié du matin, Le bain de la lune, Les enfants de la nuit, les titres s’égrènent tel un chapelet d’étoiles, tout un fourmillement, tout un vacillement, tout un rêve dans une langue. « L’alouette parle occitan. Depuis au moins neuf siècles./ Neuf siècles où elle le fait chanter très haut, dans le soleil qui l’illumine./ De sorte que c’est une de nos voix que nous retrouvons quand, dans l’air aigu d’un matin de printemps, nous l’entendons s’élever et défier le ciel. »
Quant à cette ombre messagère qui donne titre à l’anthologie, Aurélia Lassaque la décrit : « Elle est ici l’autre visage de la lumière, dans l’attente du jour où il n’y aura rien de plus que “des clartés, des clartés sans fin./ Et l’ombre pour leur donner vie. Car d’ombres naissent des clartés/et des morts se font des vies” ». Et de conclure : « Alors que la terre tremble et que l’éphémère triomphe, Max Rouquette nous offre l’intuition ardente du présent. Aujourd’hui encore il veille. »
Dominique Aussenac
Max Rouquette Les Abeilles du silence et autres poèmes inédits, traduit par l’auteur et ses amis, Jorn, 260 pages, 20 €
L’Ombre messagère et autres moissons de poèmes, traduit par l’auteur, Philippe Gardy, Jean-Guilhem Rouquette, éditions Bruno Doucey, 146 pages, 16 €
Poésie Veilleur de nuit
septembre 2025 | Le Matricule des Anges n°266
| par
Dominique Aussenac
Vingt ans après sa mort, deux recueils – un de poèmes inédits et une anthologie – rendent hommage au Languedocien Max Rouquette.
Des livres
Veilleur de nuit
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Le Matricule des Anges n°266
, septembre 2025.

