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Nouvelles Le Sosie d’Artaud

avril 1994 | Le Matricule des Anges n°8

Né en 1958 et résidant à Nevers, Jean-Christophe Belleveaux est instituteur. Plusieurs de ses nouvelles ont déjà été publiées dans des revues régionales et des ouvrages thématiques. Il travaille actuellement sur de très courtes nouvelles avec la volonté de parler de la banalité en des termes inquiétants. Il apprécie Michel Rio, Marguerite Duras et Jean-Philippe Toussaint. Dernier livre acheté : Le Cœur du tigre de Nguyên Huy Thiêp (Eds de l’Aube).

Son itinéraire explore les diagonales du trottoir. (S’il faut un « parce que » : parce qu’il est saoul). Il invective. Dans le vide, à ce qu’il semble. L’homme a un visage terrible. Dur. Ravagé. Il marche dans ma ville. J’ai peur quand je le vois et il faut bien que je dise « je » puisqu’il s’agit de moi et de cet homme qui existe en dehors de cette page et qui marche dans la ville Nevers.
Il ressemble physiquement à Antonin Artaud, les cheveux et le visage du supplicié.
Pour les besoins de la fiction -dans laquelle prend place ce vrai personnage- je vais à la fenêtre, celle de mon bureau. J’ouvre la fenêtre. Les bruits et l’air frais entrent.
Alors, pour les besoins de la fiction encore, le sosie d’Antonin Artaud se tient sur le trottoir d’en face et il regarde dans ma direction, me défiant.
Il porte un pantalon qui s’évase vers le bas, comme cela a été la mode dans les années 70. Il a également une sorte d’imperméable-manteau trop long qui lui aussi va en s’élargissant vers le bas. Il a les deux mains bien plantées au fond des poches de son imperméable et une mèche de cheveux qui barre son visage buté.
Il a un visage buté. Je crois savoir que ses ongles sont sales aussi.
A quelques mètres de lui, il y a un bar et devant le bar un garçon d’environ seize ans, assis sur la selle d’une mobylette.
Une gamine en anorak noir -je la vois de dos- l’embrasse d’un baiser d’adolescente amoureuse, c’est-à-dire un baiser très long et sans doute fatiguant pour la langue.
Antonin Artaud ne regarde pas ce jeune couple mais il me regarde, moi.
Finalement, je décide que c’est plus un manteau qu’un imperméable, mais ça ne m’aide pas à supporter cette existence- la sienne.
Quand je veux regarder vers le bar à nouveau, le garçon a disparu et la fille à l’anorak noir chevauche un scooter qu’elle s’apprête à faire démarrer.
Le bar propose un steack-frites à 35 F et c’est écrit en lettres rouges sur la devanture.
Antonin Artaud ne se soucie pas de cela bien qu’il lui arrive d’avoir faim. Il est juste là comme un reproche.
Tout à coup, je suis au théâtre, à un balcon de théâtre. La rue est la scène, les lettres rouges du steack-frites sont le décor et on sait bien que dans les coulisses s’activent tout un tas de machinistes de l’absurde : des joueurs de flipper, des petits vieux tellement seuls, un adolescent qui écoute du hard rock dans une pose de défi, lui aussi ; debout à côté d’un juke-box, des ouvriers des Ponts-et-Chaussées qui boivent des petits blancs…
Dans la machinerie de l’absurde, il y a beaucoup de mots anglo-saxons comme baby-foot, quick-burger, Guns ans Roses…
Antonin Artaud, lui, a un air plutôt hispanique, sans doute à cause de son teint hâve d’Indien en révolte, drogué, bien sûr drogué.
Et peut-être bien qu’il est une espèce de reflet de spectateur, mon reflet tandis que les acteurs entrent pour une nouvelle scène :
1) Le garçon de tout à l’heure remonte la petite place à gauche de mon immeuble, courbé sur le guidon de son cyclomoteur. Sans casque. Arrivé au coin de son immeuble, il refuse la priorié -ou l’ignore, ce qui a les mêmes conséquences- à une BMW aux vitres teintées.
2) Le monstre anonyme propulse le garçon et son engin.
En retombant, sa tête heurte le macadam, étonnamment bruyante. Très vite, une importante flaque de sang se forme à cet endroit, sous le crâne du garçon qui reste à terre, mort probablement.
3) Il y a comme un silence, ou alors il y a un vrai terrible silence, puis le cri incroyable de la jeune fille à l’anorak noir qui reste plantée sur son scooter, jambes écartées, les deux pieds enfoncés dans le trottoir.
J’associe instantanément le rouge du sang à celui des signes peints sur la devanture du bar. Pour un peu, j’applaudirais.
Antonin Artaud n’ a pas cessé un instant de me regarder. Je ferme la fenêtre et m’offre un Coca pour l’entracte.

Jean-Christophe Belleveaux

Le Sosie d’Artaud
Le Matricule des Anges n°8 , avril 1994.