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Papier agenda La foire de Varsovie

avril 1994 | Le Matricule des Anges n°8 | par Christian Molinier

Quoi de neuf à l’est ? Varsovie accueillait au mois de mai sa traditionnelle Foire internationale du livre. Difficile de faire son marché. Carnets de voyage.

La foire de Varsovie

La trente-neuvième Foire internationale du livre de Varsovie s’est tenue en plein centre de la ville, du 18 au 23 mai, dans ce Palais de la Culture et de la Science que fit édifier Joseph Staline au début des années cinquante -imposante construction en pierre grise tenant à la fois du temple grec, de l’église Saint-Sulpice et de l’Empire State Building. Au premier regard, l’effet est sinistre. Pourtant, lorsqu’on le sépare mentalement du système politique qui lui était consubstantiel, l’édifice peut être ramené à l’état d’un monument issu de temps révolus et, ainsi perçu, il devient moins antipathique. Chacun du moins en conviendra : l’intérieur est somptueux. Un escalier de marbre blanc conduit à des salles vastes et agréables -les unes rectangulaires, les autres rondes- aux plafonds ornés de corniches et aux murs peints dans des tons clairs.
Les organisateurs de la foire avaient disposé les stands dans les couloirs circulaires et dans les salles auxquelles ils donnent accès selon une classification en parties A, B, C et D, sans que la logique de cet agencement fût bien apparente.
Outre les éditeurs polonais, qui présentaient une grande quantité de livres à thème historique ou politique sous des couvertures aussi vieillottes et ternes que les façades des immeubles de Varsovie, les éditeurs ukrainiens et russes occupaient beaucoup de place pour exposer des ouvrages d’une laideur exceptionnelle : papier gris, couvertures noires ou marron imprimées sur d’épais cartons où les nobles caractères cyrilliques prenaient un aspect miteux. Pour le reste : une quantité substantielle d’éditeurs allemands et anglais, un stand-croupion d’éditeurs espagnols et, semble-t-il, pas d’italiens. Les Français étaient venus sous la bannière de France-Édition dont le stand était consacré, pour l’essentiel, à des productions encyclopédiques, pratiques ou éducatives. Le visiteur cherchait la littérature, au-delà des romans polonais traduits en français qui servaient en quelque sorte de vitrine. Puis, remarquant dans un coin les très beaux livres de Fata Morgana et ceux de quelques autres petits éditeurs du Languedoc, il se demandait quel miracle les avait fait surgir parmi tant de livres-produits aux jaquettes et aux contenus interchangeables.
Dans cette foire d’ailleurs, toutes nationalités confondues, ce n’étaient que livres de sciences, de techniques, d’art, de cuisine, de langues à apprendre sans peine, d’images, de récits pour enfants et d’histoire des armes. Seuls le stand de Noir sur Blanc et celui des éditeurs de Suisse romande -L’Âge d’homme, L’Aire et Zoé- offraient un intérêt du point de vue de la littérature. Finalement, au terme du périple, cette accumulation d’ouvrages laids et sans réelle signification culturelle donnait une impression assez triste et même rapidement insupportable, si bien que l’on cherchait le bar-restaurant, poussé non par la soif ou la fatigue mais par le seul besoin de se soustraire à un spectacle peu réjouissant. Et une fois installé, on n’avait plus envie de quitter cette salle ronde à hautes et larges colonnes qui suggérait le bien-être, le calme et la propreté. De jolies femmes, assises à des tables garnies de fleurs, conversaient dans un gazouillis de syllabes chuintantes. Ailleurs, des messieurs aux visages un peu empâtés, parmi lesquels les cadres français de l’édition se reconnaissaient à leur allure à la fois aisée et étriquée, préparaient des contrats.
Finalement, cette foire était à l’unisson de ce que révélaient les librairies de la ville, qui font la part belle aux livres politiques et pratiques ou à ces romans américains dont la planète est inondée, et qui donnent à penser que la littérature est aujourd’hui semblable en Pologne à ce qu’elle est dans les autres pays est-européens -mais, ici, cela navre encore plus quand on songe au passé littéraire du pays. N’ayant plus sa fonction de défense contre l’étouffement de la pensée, qui était naguère la sienne, elle touche désormais un cercle de lecteurs à peine plus large que celui des enseignants et des étudiants. Seule la revue Tworczócz, dirigée par Georges Lisowski, continue à publier une littérature de création.
Au retour vers Paris, Varsovie devenait un ensemble d’impressions et de souvenirs : la file d’attente dès le matin devant le bureau de l’immigration, à l’ambassade américaine ; les clochards, mendiants et déclassés de toutes sortes -parfois voyous, parfois cultivés-, éliminés par leur inaptitude à gagner de l’argent ; Coca Cola, Camel et Marlboro omniprésents et régnant sur la ville ; les deux MacDonald’s ; mais aussi, ultime note d’espoir, ce livre de Michel Foucault dans la vitrine de la librairie Liber, près de l’université ; et plus encore, le visage sérieux et fin de la jeune fille qui lisait le DocteurJivago, assise sur un banc à l’ombre de grands arbres.

C. M.

La foire de Varsovie Par Christian Molinier
Le Matricule des Anges n°8 , avril 1994.