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Poésie Claude Mourthé : la pudeur du péril

avril 1994 | Le Matricule des Anges n°8 | par Dominique Sampiero

Homme de radio, Claude Mourthé anime l’émission Un livre des voix à France Culture. Après une dizaine de romans Nuit demeure est son premier recueil de poèmes. Une écriture sobre, acérée. Violente et nacrée.

Une voix grave, lointaine, comme tenue à distance pour accompagner l’autre, laisser un espace suffisant, mais comme ça, dans une sorte d’écoute bienveillante, une gentillesse pudique. Une silhouette se faufilant entre les êtres pour ne pas les bousculer, les blesser.
Claude Mourthé donne souvent la parole à l’autre. L’autre en soi, l’autre en face. Ce n’est pas par déformation professionnelle. C’est une façon d’être, une philosophie. Sa seule violence est le mot. Le mot écrit, tracé, coruscant. Avant ou après la rencontre.

Claude Mourthé, vous êtes un homme de radio, est-ce que cela a influencé votre rapport à l’écriture ?
La radio a pris une place très grande dans ma vie. Cela m’a fait rencontrer beaucoup de monde, cela m’a enrichi. Mais cela m’a aussi empêché d’écrire.

Ne pensez-vous pas que la parole radiophonique puisse vous éloigner de l’authenticité poétique ? N’y-a-t-il pas une tentation du bavardage ?
Bien au contraire. D’abord la radio est le contraire du bavardage (je parle d’émissions élaborées). On est obligé à une économie de moyens, on a des contraintes de minutage, et toujours on recherche l’efficacité, poétique ou émotionnelle. C’est en cela qu’elle se rapproche beaucoup de la poésie : elle donne, comme le roman, à imaginer. On demande à l’auditeur, à partir de ce qu’on lui propose, de créer son propre univers, son propre climat, et presque son histoire.

Que représente pour vous l’écriture romanesque ?
Un roman va être publié chez Julliard en septembre, il s’intitule Mort de théâtre. Ce livre a été écrit il y a 12 ans mais n’a pas été publié parce que tous les personnages sont des gens avec qui j’ai travaillé. C’est difficile de parler de ceux que l’on connaît. On part toujours de quelque chose qui existe. Mais on est attaché aux êtres et on a peur de dire des choses qui peuvent les blesser. Les liens qu’on a avec eux sont plus étroits dans la vie que ceux que l’on peut avoir dans la fiction. Dans le roman on fait d’eux ce que l’on veut. C’est une sorte de liberté gênante. C’est un peu crapuleux, n’est-ce pas ?

Comment s’est construit Nuit demeure ?
Dans un dialogue avec Alain Bosquet. Je lui ai demandé son avis sur un ensemble de poèmes écrit entre 1974 et 1993. Il m’a suggéré d’en supprimer certains.
Les derniers textes sont beaucoup plus en pointillés. Je cherche un maximum de légèreté et de non-dit, avec des mots qui se profilent entre les phrases. Des silhouettes en quelque sorte. C’est pourquoi j’ai intitulé cela hologrammes.

Y-a-t-il pour vous des liens entre l’écriture du poème et celle du roman ?
J’ai écrit l’été dernier un roman qui ressemble à un poème, une histoire un peu éclatée. Je raconte mais en disloquant la phrase. En allant à l’essentiel. Je crois que la poésie est ce rapport-là. Elle ne peut pas être banale, ordinaire. Elle va toujours vers le mot le plus simple et qui serre le plus le réel. En même temps, elle casse le langage convenu, codé, dans une sorte de dislocation.

Et pourtant on dirait qu’il y a dans ce livre une peur et une tentation de la dislocation ? Est-ce la jouissance, l’extase, la folie ?
Non, je ne suis pas très fou ni délirant, parfois je me le reproche. Je suis plutôt pour l’harmonie, pour l’unité. Je ne suis pas pour la transe. Apollon plutôt que Dionysos.

Mais vous commencez le livre avec cette phrase : « J’ai peur d’avoir en nous/ plus d’une horde barbare / plus d’un bordel caché » et vous enchaînez avec le thème de l’homme décomposé.
Oui, mais cela ne doit pas trop peser sur le livre. Il y a aussi des images très drôles, très curieuses. Une espèce de désinvolture, d’anarchie. Une façon de passer du coq à l’âne. Un jeu avec l’absurde.

La poésie est un jeu, elle n’est donc pas vitale ?
Si bien sûr. Ne serait-ce que parce qu’elle est là dans mes petits carnets du matin. Toutes mes journées commencent comme ça, par un dialogue. J’écris ce qui s’est passé la veille, ce que j’ai rêvé la nuit. Ou ce qui me vient. Je me dérouille, je me décrasse.

Peut-on ouvrir l’un de ces carnets et le lire ensemble ?
Ce ne sont pas vraiment des carnets. Plutôt des agendas. Maurice Druon me disait souvent qu’une carrière d’écrivain est un cimetière de projets. (rires)
Claude Mourthé part à la recherche d’un carnet qu’il rapporte. Il en a profité pour recharger la pipe qui le cachera d’un léger nuage pendant tout l’entretien.
Il y a des impressions à chaud, des remarques, des choses que je n’ai pas pu dire. Des notes de travail. Par exemple, au sujet d’un manuscrit que j’ai envoyé à Henry Bonnier.
« Il m’a répondu qu’il ne m’avait pas retrouvé dans l’homme crépusculaire. M’avait-il perdu ? (rires) La question exacte est : me connaît-il. »
Il y a des réflexions politiques aussi.
« Algérie, 13 janvier. Annulation des élections. Il est vrai qu’ils y étaient allés un peu fort dans la magouille. C’est l’Afrique qu’est-ce que tu veux mon frère. » (rires)
Ou par exemple, ici, plus loin, ce fragment de poème :
« Le jour s’avance / bleus de lumière dans l’âme / nous nous / congratulons / qu’est-ce qui empêche l’impavide / soif / de s’étancher. »

Le texte est tel quel dans le livre, et sur ce carnet, sans correction, sans rature ?
Je ne retravaille pas les poèmes. Ou très peu. C’est le premier jet qui compte pour moi. Chaque poème, chaque phrase d’un poème apporte son propre message. Néanmoins, il y a, c’est certain, un dessein général, ne serait-ce que par la récurrence des thèmes, ou des obsessions, ou des fantasmes. Chaque poète a un univers particulier, qui peut se traduire aussi bien par les thèmes d’ensemble, que par les couleurs, les sonorités particulières, le ton, le son de la voix. Par contre, je me méfierai d’une quête volontariste, avec le désir appuyé d’aller dans un sens ou un autre. Ce serait dénier cette grâce qui nous tombe dessus et nous fait écrire quelquefois sans que nous sachions pourquoi. Il faut que le dessein nous dépasse. Nous ne sommes que des démiurges, des scribes disait Proust.

Est-ce que l’on peut dire que vous fouillez la mort avec les mots, celle que vous appelez l’impératrice de tous les rêves ?
La mort, je la laisse où elle est, mais elle m’embête car elle est partout présente. Alors il faut bien parler d’elle. Comme l’ont abondamment prouvé Camus et d’autres, c’est elle qui donne son sens à la vie, en la mettant continuellement en péril…


Dominique Sampiero

Nuit demeure
Claude Mourthé
Le Cherche midi
104 pages, 88 FF

Claude Mourthé : la pudeur du péril Par Dominique Sampiero
Le Matricule des Anges n°8 , avril 1994.