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Intemporels Grâce lui soit rendue

juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39 | par Didier Garcia

Avec Lourdes, lentes…, André Hardellet nous entraîne dans les fantasmes de l’enfance, qui balance entre pêche à la truite et jeux érotiques. Au finale : un livre tendre, généreux, et un incroyable procès.

Lourdes, lentes

Né en 1911, mort en 1974, poète, romancier et auteur de chansons, André Hardellet a laissé une oeuvre riche et peu connue, disponible en intégralité aux éditions Gallimard. Une oeuvre qui reçut à ses débuts l’aval de Pierre Mac Orlan, qui fut couronnée par le prix des Deux-Magots en 1973 et saluée par quelques grands noms de la littérature française, notamment par André Breton et Julien Gracq, qui déclarait, dans la revue Jungle en 1987, que Les Chasseurs et Les Chasseurs deux (1966 et 1973) ne désertaient « jamais les rayons proches » de sa bibliothèque, et qu’il aimait à les feuilleter à ses moments perdus.
Malgré l’élégance de sa plume, ce fut par le scandale que cet « écrivain réaliste », comme il se définissait (même si le réel qu’il décrit « n’est pas celui auquel les « braves gens » sont accoutumés »), vint à occuper le devant de la scène. En 1969, les éditions Jean-Jacques Pauvert publiaient Lourdes, lentes…, signé par un certain Steve Masson, pseudonyme transparent pour ceux qui avaient lu Hardellet, puisqu’il s’agissait du héros de son premier roman Le Seuil du jardin paru en 1958. Mais quatre ans plus tard, sur plainte de la Ligue de défense de l’enfance et de la famille, l’auteur était appelé à comparaître devant la 17e chambre correctionnelle pour « outrage aux bonnes moeurs ».
Dans une lettre adressée à Pierre Seghers, Hardellet faisait de Lourdes, lentes… « une belle histoire d’amour en été et de truites pêchées ». Une histoire d’amour sans doute, mais aussi un récit qui célèbre les femmes bien en chair, lourdes et pulpeuses comme les sculptures de Maillol, et plus particulièrement Germaine, personnage féminin que Hardellet avait déjà plusieurs fois évoqué, avec laquelle le narrateur vit sa première expérience sexuelle. L’affaire serait des plus anodines si le narrateur n’était âgé que de 12 ans et sa partenaire de onze ans son aînée. Toujours est-il qu’après avoir goulûment goûté « le con » de Germaine, pour reprendre les « mots sales » que l’auteur avoue devoir employer, le narrateur, qui semble avoir promptement atteint l’âge adulte, rencontre une hôtesse de l’air nommée Lia, dans une caravelle qui se pose voluptueusement à Amsterdam sur la promesse d’un rendez-vous galant. Le récit se déplace ensuite à Londres, dans un établissement un rien douteux, dirigée par une certaine Joyce, et où des infirmières, belles comme dans les fantasmes masculins, se livrent à des jeux saphiques que le narrateur observe avec une concupiscence bien compréhensible. Le lecteur le découvre alors copulant avec une machine extraordinaire, exhumée du jardin fantastique du Locus Solus de Raymond Roussel : un étrange appareillage mécanique qui reproduit la vulve d’une femme et dans laquelle il éprouve une jouissance très singulière… L’essentiel du récit se déroule dans une campagne profonde, celle dont les poèmes en prose de La Cité Montgol disent la beauté, avec « la bonne terre grasse des labours » que l’on traverse « chaussé de lourds godillots », avec ces forêts où les marrons éclatent en tombant sur le sol, avec ces prés et ces ruisseaux gorgés de truites.
Même si Hardellet malmène un peu son lecteur (« et si le terme innocence vous incline à ricaner, sachez que je vous emmerde »), Lourdes, lentes… est un récit dans lequel on se sent bien. On y retrouve une campagne authentique, où l’on dîne de pâté de lièvre et de pain frais, où le soleil brille comme dans les étés de l’enfance, et où les grillons viennent chanter pour habiller la nuit. Si le récit est écrit avec des « mots sales », il l’est aussi dans une langue dont peu d’auteurs auraient à rougir, à commencer par Proust lui-même, dont Hardellet s’amuse à compléter le célèbre incipit : « Longtemps je me suis couché de bonne heure -le matin ». Et les femmes n’auraient guère de raisons de se sentir offensées par ce texte qui leur rend un bel hommage : « Qu’exigeons-nous du ventre d’une femme, sinon le plus somptueux dérivatif à notre misère d’être au monde ? » Rien de vulgaire donc dans ce récit qui louvoie entre le réel et l’imaginaire de l’enfance (comme les textes mystérieux d’Oneïros ou La belle lurette), et peut-être ne s’agit-il que d’un rêve, d’une longue rêverie enfantine, transcrite dans une langue non seulement décente mais surtout délicate, non seulement élégante mais encore poétique. En quelque sorte l’écriture d’un gourmet, qui use de sa plus belle plume pour célébrer la beauté.
En octobre 1973, quelques « ombres prestigieuses » vinrent apporter leur soutien à André Hardellet en comparaissant comme témoins : entre autres Julien Gracq, dont la rigueur morale était connue de tous, et le prince Napoléon Murat, administrateurs des Cahiers de l’Herne, qui voyait dans ce récit « un texte qui honore la littérature ». Dans Le Figaro, Hubert Juin en faisait un « chef-d’oeuvre de la poésie » (il lui a d’ailleurs consacré un des volumes de la collection « Poètes d’aujourd’hui »), cependant que la pétition rédigée par René Fallet recueillait de nombreuses signatures… Le puritanisme ne céda pas au dithyrambe : Hardellet fut condamné à une amende et le livre à la destruction -non pas l’édition courante, mais uniquement celle de luxe réalisée par l’incontournable Régine Deforges. Un an plus tard, l’amnistie était prononcée.
Difficile aujourd’hui d’apprécier cette affaire avec clairvoyance -n’était-ce l’âge du narrateur, ce récit ne présentait rien qui fût réellement licencieux ou qui pût porter outrage aux bonnes moeurs. Hardellet était d’ailleurs convaincu que le procès cherchait à atteindre Régine Deforges, et qu’il fallait, pour ce faire, déclarer l’auteur coupable…
À une époque où la littérature fait de la fellation une figure de style, une telle accusation fait sourire. Mais aussi injustifiée qu’elle puisse paraître, elle aura quand même permis à André Hardellet de sortir de cette ombre beaucoup moins justifiable dans laquelle les lettres françaises l’avaient abandonné. Ce qui n’est que justice.

Lourdes, lentes…
André Hardellet
Gallimard (L’Imaginaire)
140 pages, 7,40 euros

Grâce lui soit rendue Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°39 , juin 2002.