Résolument pédestre, l’homme affirme descendre du singe quand il ne descend que de la selle. Et plus précisément de la selle haute qui est l’incontestable « père du guidon bas ». Obstinément pédestre, ou prétentieusement piétonnier dans sa version citadine, l’homme s’assurerait d’inestimables profits s’il daignait resserrer ses cale-pieds, assujettir son équilibre à l’efficacité présumée de ses mollets et fermer la bouche - « La moitié des caries est due au fait qu’on pédale la bouche ouverte », suggère l’Irlandais Flann O’Brien dans Le Troisième Policier, un récit loufoque qui certifie le triomphe de la jante en bois.
Écrit en 1940, refusé par les éditeurs avant d’être publié à titre posthume en 1967, après la mort d’O’Brien (lire Lmda N°42), ce « véli-vélo insoluble » est un polar vélocipédique qui s’aventure brillamment au-delà des routes habituellement sillonnées par le peloton éditorial. Un narrateur unijambiste, affligé d’une jambe en bois et d’une âme -prénommée Joe- accrochée à son porte-bagages, une mystérieuse cassette égarée, des vols de pompes à vélo, des policiers convaincus de l’ « humanité de la bicyclette » : Le Troisième Policier est un casse-tête d’une folle logique. Dans cette échappée, l’imagination sans frein est relayée par une prose flamboyante. « Si un ami, comme disait Wittgenstein, c’est quelqu’un avec qui on peut débiter des kilomètres de non-sens, les livres de Flann O’Brien sont les meilleurs amis qui se puissent trouver », note l’écrivain Linda Lê dans sa préface. On lira également avec bienfait l’introduction (« When the saint is cycling in ») du traducteur Patrick Reumaux. Son prélude est un échauffement de l’esprit, et le prologue indispensable à ce roman évidemment déjanté.
Le Troisième Policier
Flann O’Brien
Traduit de l’anglais
par Patrick Reumaux
Phébus
251 pages, 8,90 €
Poches Véli-vélo
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Pascal Paillardet
Un livre
Véli-vélo
Par
Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.