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Poches American requiem

février 2004 | Le Matricule des Anges n°50 | par Thierry Cecille

Exilé aux États-Unis, le philosophe Adorno dressait le diagnostic, noir et paradoxal, d’une société individualiste où toute individualité véritable agonise.

L’école de Francfort, si elle connut son heure de gloire dans les années 60-70 (le succès de Marcuse, l’influence de la sociologie de la culture de masse sur Debord par exemple), ne semble survivre aujourd’hui que dans la figure d’Habermas, tentant de concevoir une nouvelle forme de communication qui revivifie la démocratie. D’Adorno (1903-1969), on se contente souvent de citer l’anathème sur toute poésie « après Auschwitz » et l’on passe à côté d’une œuvre essentielle mais souvent complexe. Il faut donc saluer cette réédition des Minima Moralia et s’y plonger : l’admiration envers une lucidité philosophique et une précision d’écriture jamais prises en défaut s’y mêle à l’effroi d’y découvrir notre visage, notre temps, obscur et déchiré. Fuyant alors même qu’il l’analyse et l’accuse le nazisme, Adorno se réfugie en Angleterre puis aux États-Unis : il y écrit ces « réflexions sur la vie mutilée » entre 1944 et 1947. Il s’agit d’un ensemble de courts textes, qui vont de l’aphorisme à l’essai de quelques pages. Bien sûr Nietzsche, celui du Gai savoir, est ici le modèle : Adorno pérégrine d’observations pénétrantes sur Anatole France (!) ou Proust, aux ébauches de ce que sera sa Dialectique négative (1966), en passant par la description acerbe et alertée des traits les plus saillants de l’american way of life.
Le point central, abordé allusivement, comme précautionneusement, mais qui irradie toute sa pensée, est le génocide juif : « le néant que les camps de concentration ont infligé aux sujets atteint maintenant la forme même de la subjectivité » et « toute reconstruction de la civilisation » est désormais impossible. Il s’agit donc pour lui de dénoncer les symptômes gangrenant une société de masse que l’on pourrait qualifier de post-bourgeoise, au sens où même les quelques valeurs que la bourgeoisie avait su préserver (avant tout dans son propre intérêt) ont disparu, « car les modes d’existence bourgeois sont conservés de façon rigide, alors que les conditions économiques dont ils dépendent ne sont plus ». Ces symptômes sont multiples, et plus ou moins apparents. Il est ainsi devenu « impossible d’habiter » : le confort lui-même dicte nos habitudes mentales et les objets qui nous entourent préfigurent une brutalité déjà fascisante. De même nous ne connaissons plus le « tact » ou la politesse, « extériorité » imposée par la sociabilité, mais qui permettait à l’individu de se préserver et désormais la « conversation » est morte, et les mots ne sont plus qu’instruments de lutte ou de pouvoir. Un « bonheur sur ordonnance » nous est imposé avec le concours de la psychanalyse comme seul idéal : « en buvant sec et en faisant l’amour dans les limites hygiéniques de ce qui s’appelle maintenant « le sexe ». » Bien avant le Pasolini des Écrits corsaires, il pressent que cette « libération », passant par les fourches caudines du consumérisme, ne sera que l’alliée masquée de la « domination », et, ainsi que le fera brillamment C. Lasch dans sa Culture du narcissisme, il montre que l’adulte n’échappera pas à l’infantilisme, car « la mort de la famille paralyse les forces de résistance qu’elle suscitait » et, « en se libérant de la société, il se prive également de la force dont il a besoin pour vivre sa liberté ».
Pourtant, même si Adorno déclare, dans sa Dédicace, s’efforcer (s’inscrivant ici dans la tradition d’une sagesse philosophique, celle de Socrate ou des stoïciens) de tracer la voie d’une « juste vie », les remèdes que nous pourrions envisager contre cette nouvelle peste sont en définitive ici bien rares. Comme dans les œuvres romanesques contemporaines et spirituellement voisines (Le Docteur Faustus de Thomas Mann ou Le Jeu des perles de verre d’Hermann Hesse) il n’y a guère qu’un appel malgré tout assez vague à la reconstruction du sujet, à travers une « extranéité » reconquise des rapports sociaux, qui permette une « chance de liberté minuscule ». Cet « anti-roman d’éducation dans un champ de ruines », selon une belle formule de la postface éclairante de Miguel Abensour, ne nous offre pas même, à l’inverse de quelque Candide, l’espoir d’un jardin à cultiver rien que « la responsabilité face à la désespérance ».

Minima Moralia
Theodor W. Adorno
Traduit de l’allemand par
Éliane Kaufholz et
Jean-René Ladmiral
Petite Bibliothèque Payot
357 pages, 10,40

American requiem Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°50 , février 2004.
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