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Poésie La bête avant les mots

février 2005 | Le Matricule des Anges n°60 | par Richard Blin

Caroline Sagot Duvauroux ou le lyrisme du chaos. Revêtant d’éclats les plus étranges captures, son nouveau livre séduit et impressionne.

Donner corps à un rêve de délivrance, sortir du trou dans lequel on tourne, foncièrement inadapté à ce monde et radicalement privé de ciel ou d’espérance. S’aérer de sa solitude et de ses angoisses, avancer, marcher, oser. « Penser par bonds de trou en trou non de tertre en château ». À corps perdu, à mots exaltés, dans l’allant et l’élan qui défait jusqu’à l’assurance de la langue. « Je dans l’enclos de colère marchais tutoyais vent d’hiver et la dislocation où s’engouffraient les mots dans les images et les images dans le vent d’hiver ».
Ainsi commence, dans l’emportement de laisses ivres d’urgence et d’émotion, Vol-ce-l’est, le troisième livre de Caroline Sagot Duvauroux, après Hourvari dans la lette et Atatao*. D’emblée, s’impose et se reconnaît un style, se confirme la singularité l’étrangéité ? d’une écriture. « Je les mots voir disais dans les yeux des mourants je veux les mots des confins jetés par vent d’hiver dans les yeux des mourants. Voudrais l’ailleurs en l’enclos de colère et saigner l’immédiat ». Caroline Sagot Duvauroux écrit pour prendre la mesure de toutes les compromissions qui nous aident à vivre. Elle le fait au bord de la déroute, au bord des limites où toute compréhension se décompose. « Oui le sens mais jusqu’impensable/ mais à partir/ puisque sens ou non c’est où je ne pense pas/ parce que je ne veux pas/ (…)/ le sens n’est pas dans mon incompréhension/ mais dans l’océan qui me rabat/ la bouche pleine de langues ».
Se refusant à toute emprise de clôture, désétranglant ce que le langage a étranglé en nous, mêlant la prose aux vers et métamorphosant la page en forêt, en clairière, en champ d’exploration ou en chambre d’échos, Caroline Sagot Duvauroux lâche la meute de ses mots, les envoie en reconnaissance ou à l’assaut… ou bien les utilise pas à la manière d’une grenade.
Avec une voracité d’ogre gourmet (« Allez viens langue carnassière/ l’oxymoron de gueule et ma langue fermière/ jusqu’à la basse-cour où peser de main sûre/ la bête avant les mots/ Dieu qu’on en a marre des symboles/ quand l’émerveillement sombre/ avant de grincer des dents »), c’est tout ce qui se profile derrière le périlleux jeu de vivre, derrière les ombres de l’amour et du destin, que poursuit Caroline Sagot Duvauroux. Tout l’envers barbare de la vie, la merveille comme l’épouvante, le secret des origines et des destinations, mais aussi l’orage et l’attente, le poème et l’enfance.
Allant par des voies obliques et mêlant à sa voix l’ombre de celles de Phèdre, de Villon, de Rimbaud, d’Héraclite ou de Maldiney, Caroline Sagot Duvauroux lève, débuche ou dénude « jusqu’à l’os des larmes » tout ce que cachent les apparences. « Ecrire n’est pas chanter d’où cette douleur très spéciale d’avoir un corps inutile incompétent atrophié par les mots.// Cette déportation désapprend tout et les membres tremblent de vouloir recommencer patauger tâtonner poser trace avec la hotte. Ne savent plus. Oublieux trop longtemps de l’outil. Ne peuvent plus se manier eux-mêmes et ne savent plus rejoindre la chose si longuement chassée par la pensée. Chasse a remplacé la chose ».
La chasse parce qu’on est partout en forêt à Naples comme dans le TGV. D’où la nécessité de cette forme d’ensauvagement maîtrisé, synonyme de facultés sensitives suraiguisées. Car en forêt tout n’est qu’impressions et traces fugitives, errance et perdition. Dans la solitude de ce monde de désirs primitifs et de forces occultes, se brouillent vite les oppositions classiques entre l’homme et la bête, la chasse et la tragédie, le chasseur et le gibier. Forêt peuplée de regards… Vol-ce-l’est, (altération de vois-le, ce l’est, terme de vénerie signalant que la bête, qu’on avait perdue de vue, vient d’être ré-aperçue, fuyant toujours). « Voir c’est sans doute être regardé soudain par ce qu’on ne voit pas qui existe ».
Quête du réel impossible de la Joie, de la voie de la jouissance (« Parfois la joie comme une révolution »), Vol-ce-l’est libère l’étrange bête qui est en chacun de nous, celle dont Rimbaud déjà disait qu’il était nécessaire de la libérer, qu’il fallait être « une bête, un nègre ».
Gardienne des liens mystérieux qui unissent l’être humain à la nature « J’aborde l’inconnu par ce qui ne s’est pas perdu des anciens mystères », Caroline Sagot Duvauroux, au fil d’une langue qui excave, chahute lexique et conventions, s’infiltre dans tous les trous du sens comme de l’absence, nous offre un livre d’une beauté sauvage dont l’étoffe est une, depuis sa densité charnelle jusqu’à l’ossature de son corps textuel. Un livre qui explore l’impossible à dire de toute quête, décentre constamment le Je de soi-même, pour le rapporter à l’Autre, le situer ailleurs. Un livre tempétueux et vaguement ivre, qui vient de ces solitudes hirsutes où marcher, errer, décante l’être autant qu’il le délivre des « présences terrées dans les gîtes du temps ». Un livre pour survivre au présent, et au discord originel où s’abîment toute chair et tout amour. « Qu’importent les splendeurs passées d’ici ou d’ailleurs qu’importent l’œuvre et le long travail d’écarter les normes. Qu’importe ici rien de tout ça. Tout le monde est saisi c’est toi. La parenthèse aux deux serres te saisit. Je cherchais à comprendre une tragédie, je trouve le temps perdu recueilli entre les mains écartées par incendie de se joindre. Je : chevau léger. Première victime de conjugaison. Cartilage. Disparaît dans s’élance. »

*Cf. Lmda N° 39 et N°49

Vol-ce-l’est, de Caroline Sagot Duvauroux
José Corti, 240 pages, 17

La bête avant les mots Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°60 , février 2005.
LMDA PDF n°60
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