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Essais Céline au scalpel

avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62 | par Thierry Cecille

À travers une analyse méticuleuse de l’œuvre entière de l’auteur du Voyage sans en écarter les pamphlets antisémites Philippe Roussin met au jour un questionnement toujours actuel sur les fonctions de la littérature.

Misère de la littérature, terreur de l’histoire

Le nom de Céline déclenche souvent de pavloviens réflexes intellectuels : d’un côté les pâmés, criant au génie par-delà ou grâce à l’abjection, de l’autre les scandalisés, tournant le dos avec un « jamais je ne lirai une ligne de ce s… ! » Ajoutons à cela le titre un peu trop blanchotien et l’aspect à première vue rédhibitoirement universitaire de l’ouvrage (cent pages de notes !), et nombreux seront ceux qui préféreront aller voir plus loin sur les rayons. Ce serait une erreur : des heures de lecture passionnée et ô combien enrichissante attendent ici le lecteur courageux. C’est que vers Céline et autour de Céline, Philippe Roussin construit un panorama (au sens que l’on donnait à ce terme au XIXe siècle : spectacle constitué par un vaste tableau circulaire peint en trompe-l’œil et destiné à être regardé du centre) de près d’un demi-siècle de littérature française (et même européenne).

« Blasphémie »
L’hypothèse de départ reprenant le propos de Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes (1941) est la suivante : au seuil des funestes années 30, où les démocraties doivent affronter l’alternative qu’offrent communisme et fascisme, nombre d’écrivains choisissent d’instaurer « la terreur dans les Lettres », remplaçant l’ancienne « Rhétorique » associée à la croyance en un langage commun et la « figure de l’écrivain coupée du monde », par des positions (ou postures) variées, de la provocation surréaliste au réalisme socialiste au centre desquelles s’inscrit Céline.
Avec le Voyage au bout de la nuit (1932)*, il doit tout d’abord user, pour prendre pied dans le champ littéraire qu’il affronte, d’une tactique : il est, prétend-il, devenu écrivain par hasard mais il demeure avant tout médecin, le médecin des pauvres de la banlieue. « Outsider » revendiqué, il ne doit donc son succès qu’à l’originalité authentique de sa langue. Et cette langue est née de son existence, de son parcours de médecin et la boucle est bouclée ! La critique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, s’émerveille alors de ce nouveau Traité du désespoir. Mais Mort à crédit, qui creuse encore un peu plus le fossé avec le « vieux style » romanesque, dégoûte la plupart des partisans d’hier : Céline, dorénavant, est devenu « un cas ». S’acharnant, en une sorte d’ « utopie littéraire », à créer une langue, désirant rendre « l’émotion du langage parlé à travers l’écrit » (Entretiens avec le professeur Y) il va progressivement, alors que les choix politiques se radicalisent, procéder à une « nationalisation de la langue ». L’étape suivante est donc celles des pamphlets (Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres) : Roussin y voit non pas une aberration mais un aboutissement et un nouveau départ de l’entreprise célinienne. Alors que l’antisémitisme est la nouvelle forme (mais non l’ultime : les « jaunes » prendront le relais dans les derniers textes) de la « nausée » de Céline, de cette haine généralisée, de cet anti-humanisme dont témoignait déjà le Voyage, alors que des préoccupations eugénistes s’ajoutent à son nationalisme, l’injure et l’invective ce que Roussin nomme la « blasphémie » sont, en même temps qu’une réinvention de la langue de la Terreur historique celle-là, celle du Père Duchesne en 93 une arme littéraire, de nouvelles et vénéneuses ô combien « fleurs de rhétorique ». Inventant une forme, s’appuyant sur un délire fabriqué, mimé, feignant la colère et l’improvisation, Céline procède en fait à un « copié-collé » des accusations les plus hétéroclites et irrecevables de la tradition antisémite et y mêle le rire, un « rire carnassier et destructeur ».

« L’histoire sous ratures »
En 1944, Céline fuit Paris, suit Pétain et ses sbires en Allemagne, et se réfugie au Danemark où il sera emprisonné durant quelques mois. Il ne revient en France, après amnistie, qu’en 1951. L’écriture célinienne reprend alors, en particulier dans sa « trilogie allemande » (D’un château l’autre, Nord, Rigodon) les acquis stylistiques des pamphlets et s’éloigne un peu plus encore du romanesque traditionnel (jeux sur la temporalité, priorité du discours sur le récit, oralité dramatisée à travers, en particulier, l’apostrophe et la généralisation des « trois points »…) et sa posture nouvelle en fait sa stratégie de défense inverse la figure initiale : il n’est et n’a toujours été qu’un « styliste », possédé par la littérature, on ne peut lui tenir rigueur des pamphlets car il n’a jamais eu d’ « idées », on doit lui accorder l’irresponsabilité du créateur. Dans les romans se dissimule désormais, selon la belle métaphore de Roussin, « l’histoire sous ratures » : en une perverse autofiction, l’accusé se fait accusateur, le « génocidaire » victime, puisqu’il va frôlant pour finir le négationnisme naissant jusqu’à douter que les déportés aient vraiment souffert plus que lui !
Ce parcours chronologique, approfondi et passionnant, est constamment enrichi de digressions et excursus qui témoignent d’un travail admirable, et nous proposent autant de pistes de réflexion : à côté de l’affrontement entre le modèle de la phrase proustienne et « l’asyntaxie » célinienne, du régulier « retour à Zola » qui tente les romanciers français, du « fantastique social » de Mac Orlan ou du cinéma du « réalisme poétique », des premiers penseurs de la « culture de masse » (Benjamin, Adorno, Orwell) dans laquelle il nous faut vivre désormais, ou de la longue tradition française depuis d’Aubigné ! des imprécateurs, Roussin s’attache surtout à décrypter certains des usages extrêmes auxquels peut se prêter la littérature, dès lors que « la défiance du langage commun se change en haine du lieu commun démocratique ».

* 10/18 fait paraître un volume regroupant soixante-dix articles parus entre 1932 et 1935 sur le Voyage.De Bataille à Schwob (366 p., 8,50 )

Misère de la littérature, terreur de l’histoire
Philippe Roussin
Gallimard
754 pages, 31,50

Céline au scalpel Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°62 , avril 2005.
LMDA PDF n°62
4,00