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Poésie L’équation des extrêmes

avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62 | par Richard Blin

Le deuxième recueil de Florence Pazzottu compose l’algèbre obscure de la pensée aux prises avec l’insoutenable légèreté de l’être.

Florence Pazzottu sait que le langage n’a pas de fond, qu’il est cette possibilité vide, offerte, dont savent profiter l’enfant comme le poète, quand ils se mettent à jouer avec les mots. « Attendu qu’un enfant/ se baigne dans la langue/ avec tant de jouissance/ que même les débris/ du sens et ses mélanges/ éclairent et font vibrer/ de rires même en hiver/ les maigres promenades », attendu que les mots devancent les pensées, que le corps « pense sans réfléchir/ en avant de son pas/ jusqu’au trou le plus bas », que le rythme, la forme, le temps, la mort, l’intime, le manque modulent, déforment, implosent tout vouloir-dire, Florence Pazzottu ne conçoit le poème que comme lieu d’ouverture à ce qui advient. Le poème est cet espace ouvert à tout ce qui peut arriver lorsqu’on s’aventure dans le langage, lorsqu’on assume de s’exposer à la rencontre, lorsqu’on choisit de s’avancer en disant je.
Un je toujours inadéquat parce que relevant tout autant d’une relation spécifique au langage (Je suis quand je parle ; je ne saurais être je sans le dire) que de ce qui hors langage renvoie à la personne qui parle. Alors, attendu que le son et le sens se bousculent sans cesse, que l’imposition d’un sens se paie toujours d’une déperdition de plaisir, Florence Pazzottu s’empare de cet impossible, le fait sien, l’investit, l’accompagne. Autrement dit, elle privilégie la naissance aux dépens de la connaissance.
Ses poèmes accueillent donc ce qui naît, ce qui vient vers nous, de nous, en nous, malgré nous ou avec notre assentiment. « j’aime l’écart d’une parole et que rien/ ne colle à la chose ; c’est ainsi que l’amour/ se lève : ce creux vide est son tremplin ». Saisie de l’être dans son frémissement, au plus secret de ses replis, sur la crête d’un instant crucial. Écriture radicale, « emploi à nu de la pensée avec retraits, prolongements, fuites », pour reprendre les mots mêmes de Mallarmé dans sa préface à Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Écriture tout en tension et intuition, « cette intuition d’un rien/ fécond d’un rien-pas-rien », d’un « rien qu’on risque (c’est cela, dire) », qui serait quelque chose comme l’énergie toujours recommencée de ce qui me séparant de moi, m’ouvre à l’inconnu de l’élan, à l’autre et à l’être. « Poème, ce nécessaire abaissement, puis ce dépassement absolu, chaque fois dans l’en deçà, le neutre, l’indifférent, mais chute prolongée, contrariée, toujours, par ce mouvement qui s’amorce, dès l’origine d’une traversée, (…), dépassement, par incarnation et cristallisations successives, des différences, vers (…) le champ de rayonnement le plus vaste qui soit ».
Comme si ne régnait qu’une seule loi, celle qui condamne le sens à passer, à n’être que l’ombre de sa propre attente, que cette tension entre ce que je cherche à dire et le langage où cette volonté s’aveugle sur les signes. Comme si le sens était l’âme du langage, et le poème son corps dansant, « cette danse risquée maintenue/ dans ce risque ». Du jaillissement qui ne dit d’abord que lui-même, de la nudité et de l’énergie sublimée, « poème dégagé de tout appareil du scribe », pour citer Mallarmé encore. De la pensée libérée, en acte, cherchant et passant son chemin à la façon d’une eau se frayant passage sur un sol vierge. Sans oublier la dimension érotique. « Je dis poème (…) le lit et le corps du poème, son amont, son aval, sa vulve, son envers, son pénis, sa percée, son dehors au-dedans, ses rives minutieuses, son vide incandescent « .
L’Inadéquat
le deuxième recueil de Florence Pazzottu (née en 1962), après Venant d’où ? 4 poètes (Flammarion) est un livre exigeant, à la lisibilité brûlante autant que jouissive. Parce que Florence Pazzottu n’écrit pas pour définir mais plutôt pour indéfinir. D’où ces inconférences, son épopée de pas-ça, sa gravité sismographique. Une écriture qui se découvre en s’avançant, qui invente sa raison d’être comme ses repères, sa matérialité comme son jouir, » - peau aime ce qui, présent,/ signe le manque) -, poème est ce manque/ fait signe ».

L’Inadéquat
(le lancer crée le dé)

Florence Pazzottu
Flammarion
110 pages, 15

L’équation des extrêmes Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°62 , avril 2005.
LMDA PDF n°62
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