La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Esthétique érotique

avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62 | par Richard Blin

Des grâces de pavot noir sur fond d’amour panique : Sophie Loizeau ose et confirme, en grande prêtresse de l’insinuation et de l’instinct.

Environs du bouc

Un an après La Nue-bête, Sophie Loizeau nous propose, avec Environs du bouc, un livre gorgé de lune et de présences expertes à ensorceler. Chacun des onze petits ensembles ici regroupés nous emmène en ces confins mystérieux où les frontières s’estompent « qu’il me prenne par-derrière en ai l’idée (ou moi) et notre humanité devient suspecte », où la poésie vibre et résonne de tout ce que sans cesse on cherche ou croit reconnaître, dans ce qui, un instant, vient faire corps avec un lieu, un désir, une présence.
C’est ainsi que dans les parages du bouc animal satanique, figure phallique et monture aussi aimée des sorcières que le manche à balai gravitent des anges et des pleureuses, des monstres et des masques, des spectres et des « lieux crépusculaires fourrés à la viande ». Car le bouc, s’il est l’image de la luxure, s’il renvoie à la vitalité qui déborde, s’il évoque quelque chose de l’érotisme solaire des grecs, est avant tout un animal tragique, la bête qu’on sacrifiait aux fêtes de Dionysos le dieu de l’abondance de vie autant que du terrible et de l’inquiétant. Avec Sophie Loizeau, on remonte les lunaisons, on franchit les ères, on donne consistance à ce qui de la nuit sexuelle monte à la conscience, s’incarne en corps de désir et désirs du corps : « si le bouc pue à brûle-pourpoint je sors l’énormité selon/ laquelle un fumet de cet acabit (dédié tout entier aux divinités/ haussé vers elles comme un encens) entretient le lien charnel/ les dieux aiment les odeurs fortes se frottent aux animaux dans les/ étables rêvent d’incarnation ».
Nos vies sont hantées d’innommable, de voluptés troubles, d’amours forestières, de solennités secrètes et inavouables. Résurgences de formes archaïques de la sexualité, ou retour à la nudité aromale des premiers émois sexuels, c’est cette érotique de la sensation, ce désordre ébloui, ce total aveu des instincts, qui vient, comme une présence toujours au bord d’elle-même, affleurer à la surface de la page ou s’offrir au lecteur. C’est amer et délectable, savant et sauvage, rouge d’antiques désirs et d’images droit venues du latin soufré des grimoires ou des rêves éveillés, suscités par l’ardeur du dieu Pan.
Excentrant, repoussant tout ce que la culture a dénaturé en nous, Sophie Loizeau libère la bête en cage à l’intérieur de chacun de nous autant qu’elle retrouve le corps naturel. Et, ici, il n’est sans doute pas insignifiant de rappeler que ce mot de nature désigne les parties qui servent à la génération. « à partir d’une fente/ naturelle à la roche ma vulve très nettement au centre/ de mon corps écrit à l’oxyde de manganèse ainsi me voient-ils aussi/ omphalos de leurs terres fertiles consommateurs de déesses/ ils lèchent cette lézarde depuis des temps/ immémoriaux y introduisent leur langue/ même ils se fendent d’un lièvre en dépôt à mes pieds plus rarement/ d’un python/ ils usent leur salive à me parler d’eux seul le soleil en alternance/ avec le gel pénètre jusqu’à mon cœur ».
La vulve est cette bête acéphale, cette Origine du monde d’où tout le reste découle, d’où le texte vient au monde. « L’empreinte de mon sexe/ tirée sur vergé » étaient déjà les premiers mots de La Nue-bête. Ce qu’écrit Sophie Loizeau tourne autour de cette question : comment dire la chose ? Comment la rendre visible ? Comment rendre à l’œil sa virginité ? Ses textes naissent d’un corps à corps avec la viande, avec la finitude, avec l’animalité, la vraie, celle qui fascine et donne à penser, celle qui est la métaphore de l’étrangeté, le masque derrière lequel se cache la part maudite de l’homme. Écoutons Bataille, justement, quand il dit : « L’animal ouvre devant moi une profondeur qui m’attire et m’est familière. Cette profondeur, en un sens, je la connais : c’est la mienne. Elle est aussi ce qui m’est le plus lointainement dérobé, ce qui mérite ce nom de profondeur qui veut dire avec précision ce qui m’échappe. Mais c’est aussi la poésie… »
La poésie comme interrogation de l’énigme que nous sommes, comme tentative d’investigation de ce qui fait du corps une scène ou un théâtre. Les poèmes de Sophie Loizeau sont des textes à voir, des textes qui nous transforment en voyeur « le(s) doigt(s) préféré(s) frotte(nt) à frénésie en pleine/ nature ce bas plissement parallèle au pli de l’aine faille aînée qui sève/ d’être vue ». Des textes qui semblent émerger de l’intensité d’un affrontement avec ces forces qui travaillent nos corps, nos pensées, nos admirations. De l’organique, de l’anatomique, du dionysiaque, l’écriture de Sophie Loizeau ne cherche aucun refuge, aucune échappatoire. Elle s’édifie sur des ruptures, des suspens, des spasmes, des défaillances. Une écriture qui laisse la part belle aux modes de perception du lecteur, qui en joue aussi, comme elle joue des ratés de la jouissance, ou de tout ce qui, en elle, est irréductible au langage et disparaît dans les coupes, les blancs, les failles du texte. « c’est l’odeur d’aisselle/ de plumes tièdes de volaille bien que/ (…)/ cet ange-là fait les amoureux transis les éjaculateurs/ précoces son sourire la main/ qui tient les flèches raillent oh raillent si cruellement/ jusqu’à la petitesse du gland dont le calibre (celui du bonbon)/ tente la mise en bouche sans la consentir ». Véhémences et retenues, offrande et absence, c’est l’ivresse nue de la création que Sophie Loizeau regarde au fond des yeux pour mieux nous la donner à voir et à partager.

Environs du bouc
Sophie Loizeau
Éditions Comp’Act
132 pages, 17

Esthétique érotique Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°62 , avril 2005.
LMDA PDF n°62
4,00