Eugène Savitzkaya en toute liberté
Nous avons demandé à Eugène Savitzkaya de revenir sur ce qui a présidé à l’écriture d’un passage pris page 39 de son nouveau livre Fou trop poli :
« C’est janvier, le chat le dit dans la rue en cris d’amour, c’est janvier mes princesses, c’est l’étirement de la voie lactée, répond le fou trop poli à son balcon de pierre, c’est dit comme on murmure, au Bosphore la mer ploie sur son fond convexe, ça va craquer car la mer Noire bouillonne : la Fileuse a rejoint le bouvier en traversant à la nage le fleuve de lait.
Le chat d’Agimont, dit Janvier, passe benoîtement sous le balcon du fou, du fou bien trop poli, en suivant les dessins du bitume. Y lisez-vous les écritures muettes ? »
Je suis assez insomniaque, j’ai un magnifique balcon, le seul de la rue d’Agimont. Je suis donc à mon poste d’observation. Je vois les étoiles, ce qui passe dans la rue : filles, femmes, hommes, chats. Et en même temps que je vois, je suis vu.
J’ai beaucoup de considération pour les plaques tectoniques. On flotte sur quelque chose de mou, sur des croûtes qui ont durci sous l’effet de ce grand lait bouillant sous nos pieds. La croûte terrestre est comme une peau qui se craquelle au moindre mouvement.
Donc, me voici dans un moment d’insomnie, face à un appareil de murs, béton et bitume, sous les astres, en communication avec les vibrations du sol lorsque passe un train et aussi sachant qu’une rivière coule en dessous. Donc j’essaie ici de dire mon appartenance au monde. Le Bosphore, c’est comme un verrou. Les verrous parfois sautent et les mers se mélangent, les éléments sont redistribués. C’est ça que je dis ici.