D’un Journal - et sans doute plus encore lorsqu’il s’agit de celui d’un artiste - on espère toujours qu’il va nous donner l’homme derrière l’auteur, nous introduire dans l’intimité de la personne. Rien de cela ici, ou si peu. Ni narcissisme, ni révélations. Rien, par exemple, sur le père dont on dit qu’il n’aurait peut-être pas été Charles Delacroix, ministre des Affaires extérieures, mais Talleyrand, qui lui succéda d’ailleurs à ce poste. Rien non plus sur d’éventuelles amours secrètes. Pas de confession donc, mais le désir d’assagir ses tourments intérieurs - « Ce papier me reprochera mes variations » -, d’offrir un exutoire à des préoccupations d’ordre métaphysique. « Je suis un homme. Qu’est-ce que ce Je ? Qu’est-ce qu’un homme ? ». Eugène Delacroix a 24 ans quand il commence son Journal, le 3 septembre 1822, jour anniversaire de la mort de sa mère, et début « officiel » de sa carrière, son premier grand tableau, Dante et Virgile, venant d’être acheté par l’État.
Tenir un journal lui apparaît comme le seul moyen d’avoir un peu prise sur sa vie et sur son passé. « Ma mémoire s’enfuit tellement de jour en jour que je ne suis plus le maître de rien : ni du passé que j’oublie, ni à peine du présent, où je suis presque toujours tellement occupé d’une chose, que je perds de vue, ou crains de perdre, ce que je devrais faire ». Pourtant ce Journal, il va brusquement l’interrompre, en 1824, comme s’il avait finalement mieux à faire. Peindre sans doute, peindre comme un enragé : des combats aux allures d’épopée, des fresques exotiques, des scènes mythologiques, des décorations murales. Il va peindre toutes les passions, toutes les démences, toutes les aspirations - la cruauté, la fureur, l’extase, la douleur ; le sérail, les barricades, des filles nues, des bêtes fauves, des naufrages, des scènes bibliques (De-la-croix ?…). Enlèvements, batailles, massacres que son art rend avec cette originalité, cette puissance, ce relief ardent qu’ont loués Gautier, Dumas, Baudelaire surtout : « Delacroix, lac de sang, hanté des mauvais anges ». Et puis soudain, en 1847, il reprend son Journal, qu’il tiendra jusqu’à sa mort, en 1863. Sans explication, sans un mot sur les vingt-trois années qui viennent de s’écouler.
Mais entre-temps, en 1832, il a effectué un voyage de six mois au Maghreb et en Andalousie, au cours duquel il a tenu non pas un Journal mais des carnets, qui nous sont ici donnés. Plus qu’intéressants parce qu’un style s’y cherche, entre notes prises sur le vif, recension de formes et de couleurs, relations d’événements, remarques diverses sur les mœurs et les coutumes. Et c’est un œil qui parle. Delacroix ne décrit pas ce qu’il voit, il donne à voir. Chaque scène est une aquarelle virtuelle - nonobstant celles qu’il réalisa réellement. « Une jeune négresse accourant par une petite rue. Tétons sous la chemise », un homme nu arrangeant son vêtement près d’un tombeau, un cheval blanc se reposant sous des orangers, le jeu d’ombres des...
Événement & Grand Fonds Le Shakespeare de la peinture
novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108
| par
Richard Blin
Avec cette nouvelle édition du Journal de Delacroix - refaite sur les manuscrits originaux et bénéficiant des dernières découvertes - c’est l’âme et les secrets d’une esthétique qui nous sont dévoilés.
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