Georges Perros, un homme en partage
- Présentation La vie la plus proche
- Bibliographie Bibliographie
- Entretien Derrière les lignes
- Autre papier En toute amitié, 1
- Autre papier En toute amitié, 2
- Autre papier En toute amitié, 3
- Autre papier En toute amitié, 4
- Autre papier En toute amitié, 5
- Autre papier En toute amitié, 6
- Autre papier En toute amitié, 7
- Autre papier En toute amitié, 8
Vous cherchez autre chose que le rappel des souvenirs, que la consultation des portraits, que la relecture des livres… Vous décidez de vous laisser occuper par la perte. Et se précise alors en vous un lâchez tout, qui vous laisse affalé devant la table où vous projetiez de rendre hommage à Georges Perros. Qui est Perros depuis que sa proximité n’est qu’une absence ? Bien sûr, il est toujours possible de solliciter la mémoire ou de relire une lettre. Mais la conscience aujourd’hui est trop forte de l’inutilité de ces actes qui appellent un revenant. Vous chassez donc le fantôme et faites de la place à la chose informe et nue et si vivement froide. Un instant, vous tentez de lui faire face, mais non, ce n’est qu’un trou. Et dans ce trou glisse une sorte de fuite continue qui augmente vos soupçons à l’égard de tous les effets de lecture. Non, pas de ça avec lui ! Cette protestation n’est-elle pas stupide puisqu’elle limite à une perte personnelle un écrivain dont par ailleurs vous admirez l’œuvre, sachant bien qu’elle est à présent sa vie posthume. Quelque chose pourtant résiste, qui justement ne relève pas d’une affaire intime, mais de la nécessité d’entrer dans l’anonyme pour traverser d’avance sa propre disparition. Cet exercice de l’anonymat n’est-il pas le mouvement qui commande la composition des Papiers collés ? Dans les « Notes pour une préface », on lit : « Je n’ai pas envie “d’écrire un livre”, j’aurai le temps quand je serai mort. » Et plus loin : « Donc, j’écris pour un écrivain qui sera peut-être moi, mais je n’y tiens pas exagérément. » Plus loin encore, parlant de ses semblables, les faiseurs de notes, il dit : « Tous ces esprits sont “indirects”, tournent autour d’un point sans identité. On ne saurait les lire et par suite les comprendre, sans l’intuition de ce point. » Quand le collage de notes est l‘acte qui fait le livre – donc l’écrivain –, on entre dans la négation du « je » et dans la perte de soi. Perte qui anticipe la perte. Plus de nom à l’horizon, rien qu’un partage : l’amitié dans la disparition…
Bernard Noël