L' Amertume et la pierre : Poètes au camp de Makronissos 1947-1951
Derrière la figure tutélaire de Yannis Ritsos, le volume collectif proposé par Pascal Neveu forme un nouveau cortège de la folie des Hommes. Fruit du siècle dernier, il ne prend pas corps en Sibérie mais sur les rives ensoleillées d’une petite île grecque des Cyclades, Makronissos, qui servit entre 1947 et 1951 de lieu de torture et de rétention de prétendus « communistes » en butte au pouvoir grec, toujours vent debout contre les Rouges au point d’en perdre toute mesure. Sur cette île d’un kilomètre carré et demi ou sur l’île Aï-Stratis, poètes et écrivains grecs tels Ritsos, qui reste le plus célèbre, Aris Alexandrou, Tassos Livaditis, Titos Patrikios, Ménélaos Loudémis, Victoria Théodorou, Dimitris Doukaris, Leftéris Raftopoulos, Manolis Kornilios, Kostas Kouloufakos, Tzavalas Karoussos sont parvenus à témoigner de leur sort dans des poèmes ou des cahiers qui furent enterrés sur place pour échapper aux fouilles.
« Mon cher Joliot, je t’écris d’Aï-Stratis./ Nous nous trouvons ici, à peu près trois mille/ hommes ordinaires, travailleurs, instruits/ avec une couverture trouée sur l’épaule/ avec un oignon, cinq olives et un quignon de lumière dans/ la musette ». De Ritsos, cette « Lettre à Joliot-Curie » (Veille) dit l’essentiel de la douleur que connut comme lui « Rosa la rouge » Imvrioti. les femmes n’étant pas épargnées, non plus que les enfants, incarcérés eux aussi grâce à un arsenal de lois scélérates, édictées à la fin du XIXe siècle pour lutter contre le « banditisme » traditionnel (voir Le Roi des Montagnes d’Edmond About). Victoria Théodorou et d’autres exprimèrent l’horreur de ces traitements appliqués par des brutes qui ne prenaient guère en considération le fait que des enfants périssaient à cause des mauvais traitements et de la sous-nutrition. Il leur fallait subir le « baptême de Siloam », opération de « réhabilitation » destinée à le transformer en bons citoyens… On imagine la démence et le sadisme des gardes-chiourmes.
Si on avait failli oublier les heures sombres de « la Grèce des colonels » du siècle dernier – qui ne fut pas le siècle de Lumières pour les Hellènes –, les voici qui nous jaillissent au visage. De quoi songer cet été sur les plages.
Éric Dussert
L’Amertume et la pierre
Poètes au camp de Makronissos, 1947-1951
Traduction de Pascal Neveu, Ypsilon, 352 pages, 19 €