Un livre

De plume et d’ailes

de Ella Balaert

Editions Des femmes

Page 53, après avoir revisité la célèbre tirade (à entrées multiples) du nez de Cyrano, Ella Balaert ne peut que constater l’évidence : « Tu as beau tourner et retourner la question, elle garde une part d’irrésolution réjouissante ». C’est exactement ce que l’on ressent à la lecture de son livre, un abécédaire qui traite de la pseudonymie en long, en large et en profondeur. Du fait, donc, de prendre un nom de plume pour se donner des ailes. Née Anne L., Ella Balaert, son pseudo depuis trente ans, a plusieurs cordes à son arc (roman, nouvelles, théâtre, poésie) mais c’est une corde sensible qu’elle titille ici, comme pour découvrir toute la gamme des sons qu’elle peut produire. À partir de son propre cas, en quoi bien des entrées sont autobiographiques, mais aussi en traversant l’histoire, souvent littéraire (François Rabelais alias Alcofribas Nasier, Aurore Dupin devenue George Sand, le jeune Balzac signant Lord R’Hoone, le cas Gary-Ajar…), Ella Balaert interroge une notion qui rebat les cartes de l’identité, explore l’écart qui se crée entre, d’un côté, « le nom natif », l’état-civil certifié conforme, le côté curriculum officiel de la vie, disons, et, d’un autre, ce nom qu’on se choisit au terme d’un processus de changement qui, s’il est le fruit de différents déclencheurs, s’impose la plupart du temps comme une libération, un ancrage désiré : « Ton pseudonyme ne t’étrange pas, ne t’aliène pas, au contraire, il te rend à toi-même. Il t’ouvre les bras. Il t’offre les règles du Je. » L’auteure creuse la question, descend profond, va de filon en filon, regarde ce qu’il y a sous le pseudo, pointe ses couches de sens. Cet abécédaire apparaît ainsi comme un ensemble sédimentaire dont chaque fragment-strate est « une fable, un foyer d’histoires à soi seul ».
Voilà, concret et réflexif à la fois, un essai sensible et stimulant sur ce qu’on pourrait appeler l’expérience de Protée, du nom de cette divinité qui a le don de se métamorphoser.

Anthony Dufraisse

De plume et d’ailes
d’Ella Balaert
Des femmes-Antoinette Fouque, 207 pages, 16 €