Stéphane Zagdanski aime l’écriture et les démonstrations. Mêler les arguments et le style parce qu’ils ne font qu’un. Et se risquer au ton péremptoire car, cela pourrait être sa raison d’être, la littérature doit trancher. Reprenant en titre de son roman le fameux slogan des années soixante et plus qui accompagna la révolte sociale noire américaine comme un mouvement esthétique, qui retourna la stigmatisation en distinction -« Black is beautiful » et donc Noire est la beauté- il l’affirme à son tour et en fournit la preuve corporelle. C’est Marie-Viviane, immigrée sans-papiers venue de Centre-Afrique que rencontre le narrateur, peintre parisien quelque peu las mais à la recherche de l’énergie vitale qui court sous la peau de cette femme. « Elle avance vers la piste en un mouvement d’une incalculable beauté, un condensé de fulgurance animale et de calme végétal. Une panthère bondit. Chaque muscle de son corps connaît à l’avance la trajectoire et le résultat de l’insensé bond global auquel il participe. Le bond est déjà sillonné dans l’air, il ne s’agit que d’en réitérer la rature : l’impondérable sillage attendait patiemment l’éclair parfumé de son accomplissement ». Et qui bientôt lui ouvre son corps et le mystère d’une évidence physique : « Son foutre épais à la saveur de poisson frais coule dans ma gorge, je le déglutis en gémissant d’excitation, je replonge violemment mon visage plus avant dans son vagin, je mordille son clitoris court et gras comme une truffe, le lapant de haut en bas, de bas en haut, de droite à gauche et de gauche à droite comme si je le souffletais de la langue ». Il est ici question de la supériorité d’une présence au monde, de la gloire instantanée d’une gestuelle, d’une humanité pleine d’elle-même et d’une délicieuse sauvagerie dans laquelle Zagdanski voit une forme d’aristocratie.
À la suite du « Black is beautiful », il ose un racisme philo-africain qui répond aux premiers gestes des blancs conquérants de l’Afrique : « Les ténébreux européens furent éblouis -avec la douleur oculaire qu’implique ce mot- par l’énergie féline que dégageaient comme une vapeur d’or les corps des Soussous. Ils en voulurent aux Noirs d’avoir à baisser le regard devant l’évidence ». Et s’en sort bien avec toujours cette façon gentiment énervante du personnage Zagdanski de se poser en digne successeur des plus grands : « Comme par hasard, les seuls à capter la vitalité concentrée des Africains sont des artistes -de même que Gauguin est le seul à voir l’élégance racée des Maoris, et Stendhal le seul à oser comparer les Indiens d’Amérique à Achille et Hercule. Et souvent, comme par hasard, l’amour et le sexe donnent la clef de cette captation d’énergie ». Et le fait est qu’on pardonne à l’auteur les lourdeurs lyriques et ses facilités romanesques (notamment la chute) car ces pages rayonnent de générosité et d’amour, d’un sens de la description des détails qui raconte mieux que tout le désir du narrateur. Les chapitres aux drôles de thématiques racontent une fascination et la font partager. C’est déjà beaucoup.
L’auteur publie également au Passeur Autour du désir, un petit essai qui mêle dialogue amoureux et érudition, corps à corps et considérations lapidaires sur l’époque, un livre qui tourne autour précisément alors que Noire est la beauté opte pour un genre de déclamation. Zagdanski précise : « L’acte du désir n’est pas la jouissance (celle-ci est l’effet de celui-là), c’est l’écriture ».
Stéphane Zagdanski
Noire est la beauté
Pauvert
305 pages, 123 FF (18,75 €)
Autour du désir
Le Passeur
150 pages, 90 FF (13,72 €)
Domaine français Les couleurs du noir
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Christophe Dabitch
Pas de scandale érotico-littéraire en vue mais la rentrée sera quand même chaude pour Stéphane Zagdanski qui publie un roman après un essai.
Des livres
Les couleurs du noir
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.