L'engagement sensible de Marie Cosnay
L’interview idéale, pour Marie Cosnay, serait peut-être celle où elle n’aurait pas à parler. Plus exactement : pas à répondre. C’est l’autre qu’elle souhaite entendre d’abord. Lire en ses questions le cheminement que son interlocuteur a fait dans son œuvre. À condition qu’il l’ait lue, ce qui, à l’entendre raconter un précédent entretien avec une journaliste, n’est pas toujours le cas…
La jeune femme est très attentive, ouvre de grands yeux curieux comme si chaque question était une lumière lancée dans les ténèbres de sa création. Lectrice insatiable, elle écrit d’échos en échos, depuis les mots ou les images trouvés dans un livre, un film, jusqu’à celles et ceux qu’elle cherche à éveiller en elle. La source de la création, chez cette poétesse de la prose, semble déborder d’un trop fort désir de vie et cheminer, de livre en livre, dans l’interrogation perpétuelle du monde. Le sujet est poreux, traversé de langues, paysages, souvenirs : ses écrits tentent le rassemblement de ces morceaux épars que la vie apporte, comme si elle était une mise au monde de soi-même.
Votre premier livre, Que s’est-il passé ? apparaît comme un long poème. Cela signifie-t-il que le noyau de votre écriture, c’est la poésie, avant même la narration et la prose ?
À ce moment-là, je ne sais pas trop ce que « poésie » veut dire. Je souhaite raconter des histoires, j’adore ça. Mais peut-être que je ne peux les raconter que par des figures, des images, des motifs. C’est peut-être ça qu’on appelle « poésie » chez moi : le fait que le motif précède le narratif. Ce premier livre est particulier aussi dans le fait qu’il n’est pas justifié à droite, comme c’est le cas pour les poèmes. Ce qui donne aussi un effet de poésie, c’est le retour des images, le ressassement, quelque chose de circulaire. Ça c’est parce que j’ai besoin du même appui pour repartir dans l’histoire.
Une forme de ressassement qu’on retrouve dans tous vos livres, non ?
Oui, mais je ne m’en suis rendu compte que récemment.
Le sentiment poétique viendrait plutôt de la sensation que la narration est trouée. Qu’elle passe d’un motif à l’autre sans lien trop visible, sans combler les espaces comme le fait généralement le roman traditionnel.
Forcément qu’il y a des vides parce qu’il n’y a pas de récit uniforme, linéaire, complet. Même une biographie, c’est affreux : ce n’est que morceaux de bio. Malgré tout, malgré les vides de mes histoires, il se trouve que quelque chose va d’un endroit vers un autre.
Le titre, Que s’est-il passé ? n’est-il pas programmatique de toute l’œuvre ? La plupart de vos livres semblent portés par cette interrogation, qu’ils évoquent une histoire familiale, une rupture sentimentale ou un constat politique. Écrire, pour vous, n’est-ce pas mener une enquête, cheminer autour d’une interrogation y compris celle qui concerne l’identité de l’écrivain ?
Exactement, mais je n’aurais pas pu l’exprimer ainsi. C’est...