S’ouvrant sans cesse à la perpétuelle nouveauté du paysage armoricain qui est le sien, Henri Droguet inscrit sa poésie dans une expérience de l’espace qui associe le temps – dans tous les sens du terme – à un amour exubérant de la vie. Son vers, ainsi, avance face au vent, dérive, claudique, roule sa déflagrante matière de langue, sa fantasque musique de mots ruminés, marinés, insolites. C’est sauvage, pénétrant, hanté d’humour vorace, caracolant de sensations aiguës, riche de ressacs inventifs et de culbutes convulsives. À l’image de « la férocité / féconde de l’amère nature » et de « l’insaisissable ivresse du vent ».
Poésie de ciel éparpillé, de splendeurs hasardeuses – « transparence heureuse apaisée / lavis débroussaillé d’azurs / désaturés à brosse d’herbes / c’est l’aube / et tout ça n’a pas d’états d’âme » – qui nous propulse dans « le très grand dehors », nous pousse à aller dans la lumière, à nous faire affamé promeneur et à « entrer en présence » du corps irradiant du monde.
Corps magnifiquement vivant, tourmenté de forces qui s’opposent, luttent, s’étreignent – la mer et la terre, l’aube et la nuit, le soleil et la pluie, sans oublier le vent qui « émousse et défroque ». Tous ces éléments, Droguet leur donne un surcroît de densité, agglutinant les adjectifs, égrenant les verbes, mitonnant l’inouï précipité sonore de son poème tout de violence et de jouissance. Car il s’agit de saluer la beauté – « et l’on s’en va rêvant - / dérêvant z’à vous vives bacchantes / furibonds faunes fraîches / nymphes » – d’exalter ce qu’exister veut dire, maintenant ou jamais, à l’instar de « l’ébriété chorégraphique effervescente » des amants lorsqu’ils « se ruent l’un à l’autre ». Faire saillir au centre de l’évidence, au cœur des éléments et du paysage, « la violente innocence / qui dure au fond du plaisir ».
Richard Blin
Maintenant ou jamais
d’Henri Droguet
Belin, 128 pages, 17 €
Poésie Maintenant ou jamais
novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148
| par
Richard Blin
Un livre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°148
, novembre 2013.