Raymond Carver, le cœur et l'ouvrage
- Présentation Explorer le connu
- Entretien Et puis Carver est devenu Carver
- Papier critique Ballades sans harnais
- Papier critique Vertige de l’ordinaire
- Autre papier « Il écrivait des choses terribles »
- Autre papier Bascule
- Autre papier Sonate nocturne
- Autre papier Carver ailleurs Carver l’autre
- Autre papier Entrer, s’attarder
- Autre papier Le bonheur, désespérément
- Autre papier Soudain, Carver
- Autre papier Croire en l’amour
- Autre papier Innocents
Reposant sur une grande limpidité narrative et formelle, les nouvelles de Raymond Carver ne combleront guère le lecteur pressé. Celui qui en échange d’un minimum d’attention veut être séduit, tiré hors de lui-même, embarqué dans l’inconnu n’y trouvera pas son compte. Il risquera fort de rester sur le bord de l’histoire qu’il congédiera peut-être d’un haussement d’épaules. S’il est un lecteur esthète rompu aux propositions littéraires savantes, s’il mesure sa satisfaction à l’aune des innovations ou des jeux langagiers dont il est gratifié, il est probable qu’il sera là aussi déçu : quand certains écrivains sont du côté de l’expérimentation, d’autres, comme Carver, ont choisi dès le départ de s’engager du côté de l’expérience et de sa transmission. Mener sa vie comme on peut, regarder avec empathie celle des autres et en donner par les mots une transposition la plus juste possible.
L’œuvre de Raymond Carver propose au lecteur un compagnonnage, un partage, une compréhension. Il s’agit par elle de s’ouvrir à l’univers d’êtres ordinaires, à leurs raisons, leurs déraisons, leurs faiblesses, leurs déroutes. S’il les considère avec un peu d’attention, de disponibilité, de sincérité, le lecteur ne tarde pas à percevoir qu’ils font écho à ce qu’il doit lui-même affronter dans sa propre existence, fût-elle en apparence fort éloignée de tout cela. Le monde de Carver, celui que donnent à voir ses livres, c’est l’Amérique profonde des années 60 à 80, avec ses ouvriers, ses chômeurs, ses représentants de commerce, ses professeurs désabusés, ses serveuses, ses employés, ses gérants de motel ; femmes et hommes mariés ou bien divorcés ou en passe de l’être, se débattant avec leur solitude ; quelquefois sobres, souvent alcooliques, buveurs actifs ou repentis. Un monde où il incombe à chacun de saisir sa chance et de trouver l’énergie de la faire fructifier. Au moment de leur parcours où nous les découvrons, les personnages de Carver savent ce qu’il advient des rêves dans la réalité. Ils ont vu combien les choses que l’on croyait acquises vous filent facilement entre les doigts, ils savent tout ce que l’on rate, dilapide, gâche et perd jour après jour. Et nous le savons aussi, Amérique ou pas ; fin du XXe siècle ou début du XXIe.
Comme tous les grands artistes, l’écrivain Carver renferme une énigme. On peut tenter de la nommer, essayer de remonter à la source d’un parcours littéraire qui s’est déroulé en dépit de conditions sociales de possibilités – pour parler comme les sociologues – peu favorables. Rien ne permettra d’élucider le mystère d’un désir et de la volonté qui a permis qu’il prenne forme et connaisse l’aboutissement que l’on sait. Mais il est possible désormais d’en suivre l’archéologie. Nous disposons de l’œuvre intégrale de Raymond Carver, à présent disponible en français grâce au travail accompli par les éditions de l’Olivier : neuf volumes de nouvelles, poèmes et essais. Le dernier tome, intitulé Poésie, vient de paraître, en même...