Excellente idée que celle de publier ensemble, comme ils le souhaitaient, les quatre véritables écrivains de la famille Powys, qui est un peu celle des Brontë du XXe siècle. Sont donc réunis ici, L’Aconit (en bilingue) de John Cowper, l’aîné ; Ardente argile de Llewelyn, le frère préféré de John Cowper ; Bois mort (en bilingue également) de Philippa, « l’Aigle de mer », la poétesse, encore jamais traduite en français ; La Clé des champs de Theodore Francis, le plus connu de son vivant. Fuyant tous le puritanisme victorien, ils ont en commun de chasser Dieu « avec un art particulier de contrefaire l’idée que l’on se fait de Dieu » (P. Reumaux), d’aimer viscéralement la Nature, et de chercher dans le culte de la sensation la transfiguration de l’existence.
Si John Cowper Powys (1872-1963) est surtout connu pour ses essais, ses romans, et son Autobiographie, il s’obstina longtemps, comme Faulkner, à devenir poète. C’est de ce désir que témoigne Aconit (1916), un recueil hanté par les amours mortes, le soleil, la lune, l’herbe, les collines, la mer, les arbres, une lumière de jour d’orage, la nostalgie, les harmonies occultes entre passé et présent. Lie et limpidité. Derrière une géographie fétiche que met à nu le grand œil de la contemplation, on devine des présences fantomales, un cœur gelé, toute une poignance de la mémoire et une sensibilité qui a besoin de symboles palpables pour exorciser les leurres de l’amour tout en magnifiant la présence d’un mystère en suspens.
Dans Bois mort (1930), les poèmes de Philippa (1886-1963), cette sœur dont John Cowper disait qu’elle était son double, on retrouve le même esprit d’émerveillement et le même goût de la solitude. Enfant des falaises et des bourrasques, ardente, sauvage, elle recherche les impressions qui bousculent, s’enchante des combats de l’ombre et de la lumière, des arbres, de la mystérieuse puissance de l’aube et du désir, comme des hommes « des collines et des vagues », « prenant les femmes comme le renard prend la renarde ».
De cette façon d’écrire qui rend visible l’âme, Llewelyn (1884-1939), qui vécut trente ans tuberculeux, n’a rien à envier. D’Ardente argile (1931), il écrira à John Cowper : « C’est quelque chose comme un Livre de Poche du Diable, ainsi que nous avions l’intention d’en écrire, décrivant clairement la situation humaine touchant l’astronomie, la biologie, la géologie, l’anthropologie et s’achevant graduellement sur une Éthique qui reprend celle d’Epicure ». Contre les puissances mortifères et les subordinations mentales, son livre prône une subjectivité radieuse, une existence jubilatoire, un usage solaire de soi et du temps. « Mieux vaut vivre imprudemment, dangereusement et même désastreusement que ne pas vivre du tout ».
Avec Theodore Francis (1875-1953), qui passa toute sa vie à la campagne alors que John Cowper et Llewelyn parcoururent l’Amérique, le monde s’arrête au village de Madder qu’on retrouve dans tous ses récits. Il règne comme Dieu sur cet univers où s’agitent les hommes et leurs passions, et où ne cesse de se poser la question du bien et du mal, comme celle des apparences. Avec lui, c’est toute la substance du quotidien qui s’élève à la magie poétique.
Mangeurs de dieux, poètes de l’empathie et de l’incarnation, les Powys n’auront cessé de se battre contre tout ce qui limitait leur souveraineté. Des combats qui, faisant remonter à la surface du visible l’âpre vie des profondeurs, montrent souvent combien qui fait l’ange peut aussi faire la bête.
ScÈnes de chasse en famille
John Cowper, Llewelyn,
Philippa et Theodore Francis
Powys
Traduits de l’anglais et présentés
par Patrick Reumaux
Librairie Elisabeth Brunet
480 pages, 24 €
Poésie L’esprit de famille
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Richard Blin
Des onze enfants qu’eut le pasteur C.F. Powys, sept écrivirent. Dans un beau livre, dont il est le maître d’œuvre, Patrick Reumaux nous propose quatre facettes de leurs talents.
Un livre
L’esprit de famille
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.